Il est l’Européen à qui la Suisse ne peut plus dire non. Vous trouvez l’affirmation exagérée? Alors, passons en revue ensemble les atouts que détient aujourd’hui le vice-président de la Commission européenne Maros Sefcovic, 56 ans, négociateur en chef communautaire avec la Suisse, attendu à Fribourg, puis à Berne ces 15 et 16 mars.
Il faut regarder les choses en face. Lorsque le 26 mai 2021, le Conseil fédéral décide de rejeter unilatéralement le projet d’accord-cadre avec l’UE, pourtant péniblement négocié, l’avantage est en faveur de Berne. La pandémie de Covid-19 qui déferle encore sur le continent engendre, partout, un repli national. La question de la libre circulation des travailleurs, en cas d’accord avec Bruxelles, est pilonnée par la gauche helvétique, par crainte de «dumping social», sans que l’exécutif communautaire puisse apporter de réponses rassurantes.
Les incertitudes ambiantes au sujet de la politique migratoire commune sont alors de nature à alimenter tous les fantasmes. Mieux: la Suisse espère encore, en ce mois de mai fatal aux négociations bilatérales, tirer un profit maximal de sa situation de «refuge financier et économique» en temps de crise. Avec cette hypothèse distillée par les milieux les plus eurosceptiques: attendons que Boris Johnson, alors Premier ministre, l’emporte sur Bruxelles et la brèche ouverte nous sera profitable.
Maros Sefcovic peut montrer ses muscles
Deux ans après, c’est au géant slovaque, membre vétéran de la Commission européenne depuis 2009 (et candidat battu à la présidentielle dans son pays en 2019), de montrer ses muscles. Car si, côté suisse, beaucoup de certitudes ont vacillé, son institution a, elle, plutôt bien traversé les épreuves de ses deux dernières années. Ceux qui croyaient la Commission en difficulté face au Royaume-Uni dominé par les Brexiteurs constatent leur déroute. Symbolisée par la démission humiliante de «Bojo» empêtré dans le «partygate» le 7 juillet 2022, puis la catastrophe de sa successeure Liz Truss, et l’obligation pour l’actuel Premier ministre britannique Rishi Sunak d’amadouer Bruxelles.
Plus grave: la pénurie de travailleurs européens, engendrée par le Brexit, n’a fait qu’aggraver la crise économique insulaire au point que Londres courtise aujourd’hui philippin et sri-lankais. Autre évidence enfin: l’agression russe contre l’Ukraine du 24 février 2022 n’a pas fait exploser l’Union, même si la Hongrie joue encore les trouble-fêtes. Dix trains de sanctions économiques contre la Russie ont été adoptés à l’unanimité. Leur efficacité est contestée, mais toutes ces mesures ont été reprises par la Suisse, depuis la décision du Conseil fédéral du 28 février 2022.
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Alors «Mister» Sefcovic ? Qu’allez-vous dire - en anglais - à l’université de Fribourg en clôture de cette «journée de l’Europe» organisée depuis 40 ans en ces lieux? On peut parier, évidemment, sur un rappel de la cohésion européenne en ces temps de guerre en Ukraine, à la veille d’un nouveau sommet des Chefs d’État ou de gouvernement des 27 à Bruxelles, les 23 et 24 mars. Mais s’il veut se montrer piquant et provocateur – ce qui ne sera sans doute pas le cas – avant de dîner ce mercredi soir avec Ignazio Cassis, puis de rencontrer les parlementaires des deux chambres jeudi à Berne, le vice-président de la Commission n’aura que l’embarras du choix.
J’exagère? Regardez l’effervescence provoquée ces jours-ci au sein de l’Union européenne (UE), et surtout chez nos voisins, par les récentes déclarations d’Alain Berset sur les «va-t-en-guerre» qui entourent selon lui la Confédération. Attardez-vous sur le «cadre de Windsor», cet arrangement finalement signé le 27 février entre le gouvernement britannique et la Commission européenne pour régler le blocage qui durait depuis deux ans sur le fameux «protocole nord-irlandais», l’un des points clés du Brexit.
La neutralité helvétique? Assiégée
Et surtout, regardez le monde tel qu’il est, bouleversé par la guerre en Ukraine. La neutralité helvétique? Toujours brandie et solide après le ralliement de la Finlande et de la Suède à l'Otan, mais assiégée, voire moquée. La place financière suisse? Toujours attractive, mais bousculée, et peut-être bientôt mise de nouveau KO par l’interminable déconfiture de Crédit Suisse. Les F-35 américains dont Berne a passé commande en septembre 2022? Peut-être utiles pour consolider l'axe Berne-Washington, mais menacés par une initiative populaire et même pas sûrs d'être livrés comme prévu à partir de 2027…
La réalité est simple. Deux ans après avoir infligé une «gifle» diplomatico-politique à Bruxelles, le gouvernement suisse n’a pas intérêt à prolonger la fâcherie, que la secrétaire d’État Livia Leu s’est employée depuis deux ans à dissiper en menant des «pourparlers exploratoires» avec ses interlocuteurs européens. Le menu politique de la visite de Maros Sefcovic est connu. Oublié «l’accord-cadre», expression bien trop contraignante et invendable à l’opinion helvétique. Voici revenu l’idée d’une «nouvelle phase d’accords bilatéraux» ou d’un «pacte» bilatéral, comme le propose l’institut Foraus.
Une liste de compromis
Dans ce pacte? Un compromis sur les aides d’État, traditionnel sujet de contentieux pour Bruxelles, qui accuse Berne de soutenir trop ses entreprises. Autre sujet: le règlement des différends, qui permettrait au comité mixte Suisse-UE de prendre «des mesures de compensation proportionnelles» en cas de problèmes dans l’application du droit européen. C’est là d’ailleurs que le compromis de Windsor peut servir de référence, puisque le Parlement nord-irlandais a obtenu des prérogatives supplémentaires en la matière, par rapport aux juges de la Cour de Justice de Luxembourg. Trois autres sujets sont à l’étude: l’association de la Suisse au marché européen de l’électricité en pleine reconfiguration, un accord sur la santé et la réintégration de la Confédération dans le programme européen «Horizon» de financement de la recherche.
Quels points restent à examiner? «La confiance, c’est l’essentiel. C’est cela que la visite de Maros Sefcovic doit permettre de restaurer», confie-t-on à Berne, où l’on attend le résultat des consultations menées actuellement pour reprendre des négociations formelles, sans doute en mai. «Maros vient aussi pour comprendre un peu où sont les difficultés chez nous», ajoute un familier du vice-président de la Commission.
Les mots sont choisis. L’heure est à l’insistance sur la «compréhension». Plus personne, à Berne, ne demande à voix haute à Bruxelles de faire des «concessions».
Pour suivre le discours de Maros Sefcovic à 17h ce mercredi 15 mars lors de la Journée de l'Europe à l'université de Fribourg, cliquez ici.