Népotisme, conflits d'intérêt
Affaire Fabienne Fischer: silence et gros malaise chez les Vert-e-s genevois

Népotisme, conflits d'intérêt, subvention déguisée en mandat… Les conclusions du rapport de la sous-commission de gestion sont accablantes pour l'ex-ministre Fabienne Fischer. Qu'en dit sa famille politique? Rien. Ou presque. Plongée au pays de la langue de bois.
Publié: 06.06.2024 à 06:03 heures
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Dernière mise à jour: 06.06.2024 à 06:59 heures
L'ex-élue verte a abusé des ressources de l'Etat pour sa propre campagne électorale. Telles sont les conclusions de la sous-commission du contrôle de gestion du Grand Conseil genevois.
Photo: KEYSTONE//Martial Trezzini
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

On les a connus plus en verve, les Vert-e-s. D’ordinaire plutôt habiles dans l’art de la petite phrase bien sentie, si prompts à brandir les valeurs morales comme vertus cardinales et à crucifier publiquement ceux qui s’écartent du droit chemin (poke, Pierre Maudet), il semblerait bien que l’affaire Fabienne Fischer leur ait fait perdre leur langue.

Prononcer le nom de l’ancienne conseillère d’Etat, c’est faire face à des silences embarrassés, des rires nerveux, des dérobades alambiquées ou des refus de commenter. Il faut dire que les Vert-e-s genevois n’ont que peu goûté au rapport de la sous-commission du contrôle de gestion du Grand Conseil genevois sur la campagne de l’ancienne ministre écologiste lors des élections cantonales genevoises d’avril 2023.

Un rapport explosif 

Népotisme, mails «poubellisés», irrégularités dans les recrutements, subvention déguisée en mandat, conflits d’intérêts: les conclusions du rapport sont accablantes pour Fabienne Fischer. La présidente de la sous-commission du contrôle de gestion, Jennifer Conti, n’y va pas par quatre chemins: «Dans cette affaire, l’ancienne conseillère d’Etat, s’est servie au lieu de servir l’Etat.»

Souvenez-vous. Au printemps 2023, le député Mouvement citoyens genevois (MCG), Daniel Sormanni fait une demande en vertu de la loi sur la transparence (LIPAD). Il soupçonne la ministre genevoise de l’Economie et de l’Emploi d’utiliser des collaborateurs de son département pour sa propre campagne politique.

Les médias s’emballent. La chaîne de télévision genevoise, Léman Bleu, révèle que des communicants du département auraient travaillé pour tenter de faire réélire la Verte. À la fin de l’été, «Le Temps» et Léman Bleu portent l’estocade, nous apprenant que la magistrate écologiste avait octroyé des mandats à deux associations dont son compagnon, Jean Rossiaud, était proche. La polémique conduit à la création de la sous-commission. Avec les conclusions que l’on connaît. Tous les partis ont approuvé le rapport… sauf les Vert-e-s.

Alors, on a voulu leur poser la question. Que pensent les Vert-e-s des errances politiques et morales de la magistrate déchue? Spoiler: c’est le gros malaise.

Au pays de la langue de bois 

Le conseiller national, Nicolas Walder, nous fait savoir qu’il est actuellement «en session parlementaire à Berne, occupé sur des dossiers internationaux et qu’[il] n’a pas suivi les derniers développements liés à Fabienne Fischer…» On ne peut, ma foi, que regretter que les médias romands ne traversent pas la barrière des röstis.

On tente notre chance auprès du conseiller d’Etat genevois, Antonio Hodgers en lui rappelant un post qu’il avait publié sur Facebook en mars 2021 à la veille des élections au Conseil d’Etat. Il y prenait la pose en compagnie de Fabienne Fischer et écrivait: «Ce qui se joue aussi lors de cette élection, ce sont les valeurs morales sur lesquelles se basent nos institutions. Il faut faire barrage à l'incarnation de la politique du mensonge, de la tricherie et de la manipulation. Un triomphe de celle-ci marquerait durablement notre canton.»

Post Facebook publié par le conseiller d'Etat Antonio Hodgers, en mars 2021, à la veille des élections au Conseil d'Etat.
Photo: Facebook

On lui demande par écrit: «A la lumière des conclusions du rapport de la sous-commission d'enquête, l'affaire Fischer va-t-elle durablement marquer le canton?» Réponse laconique d’une communicante du Département du territoire: «Le contenu du rapport de la sous-commission de gestion du Grand Conseil est actuellement en cours d'analyse. Il fera l'objet d'une communication globale par le Conseil d'Etat prochainement.»

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«Cette enquête a été faite à charge, sans aucun élément à décharge»
Pierre Eckert, membre de la commission de contrôle de gestion et député vert genevois
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Du côté de la présidence des Vert-e-s suisses, c’est — sans surprise — motus et bouche cousue. La responsable des relations médias nous indique que Lisa Mazzone, la présidente, ne s’exprime que sur des sujets d’intérêt national. Alors oui, en tant que Genevoise, on avoue, il nous arrive parfois de penser à tort que la Cité de Calvin est le centre du monde. Mais quand même, cette affaire ne dépasserait-elle pas les frontières cantonales? Silence embarrassé de la communicante.

On nous renvoie à la présidence des Vert-e-s genevois. Vous pensiez que vous pourriez lire une réaction de la nouvelle présidente, Maryam Yunus Ebener? Que nenni. Cette dernière renvoie courageusement la balle aux députés du canton. Et miracle, deux ont répondu présent.

Deux élus prennent la parole 

Le premier, Pierre Eckert, membre de la commission du contrôle de gestion, confirme avoir voté contre le rapport en commission. «Je ne remets pas en cause les éléments factuels de l’enquête, mais ses conclusions. Celle-ci a été faite à charge, sans aucun élément à décharge.»

Parler de népotisme relèverait de la diffamation selon lui. «La communicante que Fabienne Fischer a recrutée n’était pas une amie de longue date, mais avait simplement participé à sa campagne en 2021. Elle a été engagée pour mettre de l’ordre dans le département laissé sinistré par Pierre Maudet. Dire qu’elle l’a été uniquement pour faire la campagne de Madame Fischer est parfaitement diffamatoire.»

Et quid des procédures de recrutement qui n’ont pas été respectées? «Je ne le conteste pas. La magistrate peut formuler une intention, mais c’est à l’administration de faire en sorte que le recrutement se fasse dans les règles de l’art.»

Des dégâts d'image pour le parti

Et que penser des dégâts d’image de cette affaire pour son parti? Une affaire à laquelle est venue s’ajouter celle de la conseillère administrative verte, Frédérique Perler, rattrapée par des cas de népotisme dans son département. «À titre personnel, j’estime que ces affaires impactent fortement notre image, c’est certain. Mais nous n’en avons pas encore vraiment parlé au sein du parti», admet le député.

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«La proximité de son compagnon autour de la campagne était probablement maladroite»
David Martin, chef de groupe des Vert·e·s au Grand Conseil genevois
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De son côté, David Martin, chef de groupe des Vert-e-s au Grand Conseil, reconnaît que des erreurs d’appréciation ont été commises par l’ex-magistrate. «La proximité de son compagnon autour de la campagne était probablement maladroite. Si j'avais été à sa place, j'aurais fait différemment.» Il ajoute: «On peut comprendre la critique, mais pas au point de tout démonter et d'effacer le travail fourni. C’est regrettable. Le bilan de Fabienne Fischer est bon, elle a notamment activement porté le programme de transition de l’économie.»

S’il soutient les recommandations du rapport, il reconnaît rester sur sa faim concernant l’analyse et l’enquête menées. «L’ambition initiale du rapport était de faire le point sur l’ensemble des départements. Il n’y a que celui de Fabienne Fischer qui a été audité. Le rapport visait aussi à éclaircir les rôles des communicants autour d’un magistrat lors d’une campagne électorale. Où place-t-on le curseur? Le rapport n’y répond pas et c’est une vraie question.»

Et le chef de groupe de préciser: «Avec ce rapport, on fait un procès à charge, alors qu’une procédure pénale est en cours. Nous sommes censés respecter la séparation des pouvoirs. Dans le cas présent, j’ai l’impression que le procès est déjà fait. Alors que ce n’est pas aux députés de la commission, ni aux médias de le faire. Il est impératif de respecter la séparation des pouvoirs.»

Mais à une année des élections municipales, en 2025, cette affaire est-elle celle de trop pour les écologistes genevois? Et va-t-elle leur coûter leur siège? Silence.

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