Lausanne, le 13 novembre 2021, Sortie de boite 2h 30 dans le quartier du Flon la Police ainsi que Protectas veille © sedrik nemeth

Guerre des genres au Flon
«On avait déjà peur avant la dernière attaque»

La majorité des femmes rencontrées dans le quartier lausannois du Flon au petit matin ne s'y sent pas en sécurité, a constaté Blick. Les dernières bagarres sanglantes sont systématiquement citées. Les hommes interrogés, eux, dénoncent «un fantasme médiatique».
Publié: 14.11.2021 à 16:27 heures
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Dernière mise à jour: 14.11.2021 à 16:29 heures
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Ici, personne ne dort. Nous sommes samedi, au Flon, il est presque 3h du matin. Les nombreux établissements nocturnes du célèbre quartier lausannois sont pleins à craquer. Dehors, le thermomètre contraste avec la chaleur moite du MAD ou encore du Hype. Huit petits degrés. Pas de quoi refroidir les quelques groupes de noctambules qui enchaînent les culs-secs à l’extérieur, autour d’une drôle de fontaine.

Au Flon, la fontaine sert de point de ralliement.
Photo: Sédrik Nemeth

L’eau jaillit d’une sculpture couleur bronze composée de guitares, d’une batterie, d’amplificateurs et d’un micro. Sans jaser, l’ambiance est électrique. Des bouteilles bon marché de rhum et de vodka négligemment abandonnées un peu partout roulent lentement par terre. À force d’être percutées par des pieds avinés, certaines finissent par exploser. Un fracas caractéristique et anxiogène. Un coup d’œil par-dessus l’épaule n’empêche pas ces passants de presser le pas. Ici, l’alcool coule à flots. Le sang aussi, parfois.

La peur au ventre

Le quartier du Flon appartient à la société Mobimo.
Photo: Sédrik Nemeth

Un groupe de jeunes femmes, assises devant le MAD, paraît particulièrement sur ses gardes. «Nous avons vu passer plein de messages inquiétants sur Instagram concernant le Flon et, depuis, nous ne sommes pas très rassurées, glisse à Blick Jessy*. On se dit qu’on doit encore faire plus attention que d’habitude.» Rappelez-vous. Il y a tout juste une semaine, le témoignage glaçant d’une jeune femme a secoué Instagram.

Après avoir refusé de donner son pseudo sur Snapchat — une application de partage de photos et de vidéos — à un individu qui l’aurait abordé au cœur du quartier, elle se serait fait tabasser puis attaquer à coups de couteau. Cette affaire intervient un mois après la rixe entre deux groupes qui a fait un mort et un blessé grave au même endroit.

Jessy n'est pas sereine. Sans surprise. Et ce n'est pas nouveau. Selon cette vingtenaire, il y aurait, à partir d’une certaine heure, une plus grande insécurité au Flon que dans le reste de Lausanne. «Il y a des boîtes partout et donc beaucoup d’alcool, appuie-t-elle. On sait que la nuit peut mal se terminer.»

Jessy* a le sentiment que le Flon est moins sûr que le reste de Lausanne.
Photo: Sédrik Nemeth

Une de ses amies abonde. «Très honnêtement, j’ai hésité à remettre les pieds dans le quartier après avoir lu toutes ces histoires, même si on avait déjà peur avant la dernière attaque, déplore-t-elle. Je suis là régulièrement donc je sais que ces témoignages sont crédibles, c’est parfois la zone ici. Mais bon… Je suis en train de vous parler. J’ai donc décidé de revenir, mais en prenant mes précautions. Je ne reste pas seule, par exemple.»

Le problème? Des hommes «insistants»

Quelques mètres plus loin, cinq femmes sont attablées sur la terrasse du King Size. Le pub est déjà fermé depuis un bon bout de temps. «Nous venons d’avoir un problème avec ces types», s’agace l’une d’elles, en désignant deux hommes manifestement alcoolisés, avachis à un jet de pierre. «Heureusement, les agents de sécurité du Flon ont remarqué qu’ils étaient insistants avant que la situation ne dégénère et sont tout de suite intervenus. Ils ont dit qu’ils garderaient un œil sur nous jusqu’à ce qu’on parte.»

Dans la nuit de vendredi à samedi, ces cinq femmes ont été aidées par des agents de sécurité du Flon.
Photo: Sédrik Nemeth

«Nous nous faisons tout le temps emmerder par des gars mais c’est bien la première fois que la sécurité intervient comme ça», lance, désabusée, une de ses copines. Cette Morgienne enchaîne: «Le Flon doit avoir peur pour sa réputation à cause des derniers événements. C’est bien que ses propriétaires (la société Mobimo, ndlr.) réagissent, mais il n’y a clairement pas assez de 'sécus' ni de policiers sur place. Cela doit changer».

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Devant le Tacos Bar, trois fêtardes déambulent. Elles aussi partagent cet écœurant sentiment d’insécurité, malgré la dizaine d’agents de sécurité bien visible et les voitures des forces de l’ordre qui patrouillent sans cesse autour du quartier. «C’est cela, être une femme la nuit, soufflent-elles. Le moindre bruit dans l’obscurité peut glacer le sang. Mais nous ne pensons pas qu’il y ait davantage d’agresseurs au Flon. On préfère d’ailleurs marcher ici — il y a des gens et de la lumière — qu’à la rue du Petit-Chêne. Il est important de dire et de répéter que les femmes ne sont jamais coupables lorsqu’elles se font agresser dans l’espace public. On a besoin de toutes les bonnes volontés pour lutter contre ce fléau.»

Le MAD a changé le destin du quartier.
Photo: Sédrik Nemeth

Au total, nous avons interrogé une quinzaine de femmes. Le constat est quasi unanime. Seul un duo a assuré ne pas se sentir menacé lorsqu’il se balade ici le soir. Par ailleurs, ces deux femmes disent apprécier «les efforts de sensibilisation» faits par le MAD à la suite des rumeurs qui ont fait trembler l’établissement. Pour mémoire, une publication virale sur les réseaux sociaux assurait que des dizaines de femmes y avaient été droguées à leur insu par injection lors d'une soirée de l'Ecole hôtelière de Lausanne. Cependant, à ce jour, aucun signalement en lien avec cet événement n’a été porté à la connaissance des autorités.

«Allez écrire sur des vrais sujets!»

Qu’en pensent ces Messieurs? Spoiler alert: leurs propos tranchent. Devant la fontaine, deux jeunes hommes persiflent. Il est 4h10. «Les médias vivent du sang et font de cas isolés une généralité. Tout le monde est en sécurité ici. Simplement, des personnes confondent leur ressenti et la réalité.» Ils tirent une bouffée sur leur cigarette. «C’est à la mode d’avoir des problèmes mais franchement… Il faut arrêter les fantasmes médiatiques. Allez écrire sur des vrais sujets!»

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Le Flon, un quartier sous haute surveillance.
Photo: Sédrik Nemeth

Devant le Hype, même discours: «Il y a des problèmes partout», minimise un noctambule, accompagné par cinq ou six copains. «Des gens disjonctent avec l’alcool et se battent, ça arrive.» Ses potes se marrent, des ailes lui poussent: «Si on dézoome, on est bien plus safe au Flon, à Lausanne, qu’ailleurs. C’est une réalité. Après, il ne faut pas tester les limites de l’acceptable. Par exemple, si vous me traitez de mec bizarre, je vais me battre avec vous». Le photographe mandaté par Blick le prend au mot: «Tu es un mec bizarre». L’homme est d’abord dubitatif. Quelques secondes passent et il éclate de rire: «Vous savez où on peut acheter à manger à cette heure?»

*Prénom d’emprunt.

Le Flon, une histoire digne d'une série

Posons les bases, si vous le voulez bien. Avant d’être un quartier, le Flon est une rivière. Celle-ci a été enfouie par la Ville de Lausanne et passe désormais sous la place qui porte son nom. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Au XVIIIe et XIXe siècles, des commerces et industries qui avaient besoin d’eau s’installèrent à proximité de la rivière, afin de développer leurs activités, rappelle «TocToc». Le quartier se crée et devient rapidement un centre économique d’importance. À la fin du XIXe siècle, on y trouvait même la principale gare de marchandises de la capitale vaudoise.

La success-story se gâte dans la deuxième moitié du siècle suivant. Dans les années 1980, le Flon a très mauvaise presse: les dépôts se vident, des bâtiments sont insalubres et la prostitution y est solidement installée.

Propriétés de la société Mobimo, les lieux se sont métamorphosés. En 1985, le MAD Club ouvre ses portes et attire de nouveaux visiteurs: les noctambules. L’arrivée progressive de boutiques branchées (Pomp it up ou encore Maniak) redonne également des couleurs au quartier qui devient un haut lieu de la culture alternative de l’époque.

Aujourd’hui, le Flon fait davantage dans le mainstream avec ses fast-foods et ses grandes chaînes en tout genre. Faut-il le regretter? Nous venons de le voir, l'Histoire n'est jamais figée.

Posons les bases, si vous le voulez bien. Avant d’être un quartier, le Flon est une rivière. Celle-ci a été enfouie par la Ville de Lausanne et passe désormais sous la place qui porte son nom. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Au XVIIIe et XIXe siècles, des commerces et industries qui avaient besoin d’eau s’installèrent à proximité de la rivière, afin de développer leurs activités, rappelle «TocToc». Le quartier se crée et devient rapidement un centre économique d’importance. À la fin du XIXe siècle, on y trouvait même la principale gare de marchandises de la capitale vaudoise.

La success-story se gâte dans la deuxième moitié du siècle suivant. Dans les années 1980, le Flon a très mauvaise presse: les dépôts se vident, des bâtiments sont insalubres et la prostitution y est solidement installée.

Propriétés de la société Mobimo, les lieux se sont métamorphosés. En 1985, le MAD Club ouvre ses portes et attire de nouveaux visiteurs: les noctambules. L’arrivée progressive de boutiques branchées (Pomp it up ou encore Maniak) redonne également des couleurs au quartier qui devient un haut lieu de la culture alternative de l’époque.

Aujourd’hui, le Flon fait davantage dans le mainstream avec ses fast-foods et ses grandes chaînes en tout genre. Faut-il le regretter? Nous venons de le voir, l'Histoire n'est jamais figée.

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