De l’air frais en pleine chaleur, à tout moment de la journée, peu importe si l'on est en pleine canicule. Si l’offre du climatiseur fait rêver, l’effet de ce genre d’appareil va bien au-delà du simple rafraîchissement de l’air. Son utilisation a des impacts négatifs sur l’environnement et a modifié les modes de vie des pays qui l’ont pleinement adopté. En Suisse, démocratiser les climatiseurs pourrait façonner notre avenir.
À l’étranger, s’il y a bien un endroit où le climatiseur s’est répandu à outrance, ce sont les États-Unis. Que ce soit dans les bureaux ou dans les foyers, la climatisation est partout. À ce propos, un article du magazine américain «The Atlantic» va même plus loin en assurant que la climatisation «a rendu possible l’Amérique moderne». Les États-Unis ne seraient pas le même pays aujourd’hui si Willis Carrier n’avait pas inventé l’air conditionné (ou A/C) en 1902. D’abord utilisé uniquement dans l’industrie, l’appareil a commencé à modifier la géographie des États-Unis en pénétrant dans les foyers privés.
La climatisation, mère des mégalopoles
Prenons l’exemple de Phoenix, dans l’Arizona. En 1950, la ville désertique comptait à peine 100’000 habitants avant la climatisation. Depuis que cette dernière est arrivée, la ville n’a cessé de grandir et compte aujourd’hui 1,5 million d’habitants. Phoenix fait également partie de la Sun Belt, en plein essor économique et démographique. Cette «ceinture de soleil» fait référence à une zone géographique allant du sud-ouest du pays jusqu’à la Floride. Elle n’aurait pas pu émerger sans la climatisation.
Cet effet transformateur de la climatisation ne se cantonne pas qu’à l’Amérique. Difficile aujourd’hui d’imaginer Dubaï sans climatisation par exemple. Et cela vaut pratiquement pour toutes les mégapoles situées sous les Tropiques ou à proximité de l’équateur.
Le changement arrive en Suisse
Il en va autrement en Suisse. Pendant longtemps, la climatisation n’y a pas joué un grand rôle dans les habitations. On fronçait plutôt le nez à son évocation. La sociologue Katja Rost de l’université de Zurich explique à ce sujet: «Aux États-Unis, pouvoir rafraîchir ses locaux à 16 degrés est un marqueur de statut social. En Suisse, nous en sommes encore très éloignés.»
L’été caniculaire que nous vivons dans notre pays risque pourtant d’avoir des répercussions sur notre rapport à la climatisation. Le changement est déjà en œuvre: les détaillants font état de ventes records de climatiseurs. Chez Interdiscount et Microspot, les chiffres ont littéralement «explosé» la semaine dernière. Chez Digitec Galaxus, on enregistre aussi des records. Sa porte-parole, Seraina Cadonau, le confirme: «Il n’y a pas eu d’année où nous avons vendu plus d’appareils en juin et juillet qu’en 2022.»
Une meilleure mentalité pour la planète?
Pour le climat, cet essor des ventes n’est pas une bonne nouvelle. Les climatiseurs sont gourmands en énergie et participent d’autant plus à réchauffer l’air ambiant jusqu’à parfois un degré supplémentaire. Ces appareils consomment en sus autant d’énergie par mois qu’un combiné réfrigérateur/congélateur en un an.
La sociologue Katja Rost analyse le paradoxe: «C’est un phénomène de prospérité qui nous pousse à miser sur des pièces fraîches pour des raisons égoïstes, même si nous savons que cela nuit au climat.» Il est désormais plus difficile d’adapter son mode de vie aux températures, car ces dernières altèrent de nombreux domaines de notre quotidien. Faire une sieste en Suisse aux heures de fortes températures? Difficilement imaginable. Ne pas souper avant 22 heures? Il ne semble pas pour l’instant en être question.
Dix climatiseurs vendus chaque seconde
Il faudra sans doute plus de temps en Suisse pour atteindre le niveau de fraîcheur des États-Unis. Les lois y sont pour quelque chose: dans notre pays, les climatiseurs visibles de l’extérieur sont soumis à une autorisation. Katja Rost s’attend à ce qu’un débat public s’engage en Suisse sur la compatibilité climatique des dispositifs d’air conditionné.
Économiser l’énergie est de bon ton, notamment dans les pays du Nord, avec des techniques qui prêtent parfois à rire ailleurs sur la planète. Alors que sur Internet les Américains se moquent des Européens qui ferment leurs volets pour garder les intérieurs au frais, les chiffres du Rocky Mountain Institute se prêtent peu à la rigolade: au cours des 30 prochaines années, dix climatiseurs seront vendus chaque seconde dans le monde.