Avez-vous entendu parler du sommet du Conseil de l’Europe qui vient de s’achever en Islande? Non. Normal. Et savez-vous pourquoi Alain Berset y était pour représenter la Confédération, qui est l’un des 46 pays membres de cette organisation? Non, et tout le monde s’en fiche un peu.
Logique. Au moment où les États-Unis flirtent avec la faillite en raison de l’opposition rituelle démocrates-républicains sur le plafond la dette, et alors que les pays du G7 entament ce jeudi leur réunion annuelle à Hiroshima (Japon), ce qui s’est passé à Reykjavík n’a aucune importance. C’est vrai. Sauf que…
Comment se faire entendre sur le continent?
Au Conseil de l’Europe, fondé en mai 1949 sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale dans l’espoir de réunifier le continent, la Suisse dispose d’un siège solide. Elle a même présidé, en 2009, le Conseil des ministres de l’organisation, ce qui lui permit de se distinguer lors des pourparlers consécutifs à la guerre d’août 2008 entre la Russie et la Géorgie.
Et après me direz-vous? Quelle importance? Pourrait-on vivre sans ce Conseil basé à Strasbourg, dont la Russie est aujourd’hui suspendue pour cause de guerre en Ukraine? La réponse est oui. Mais une autre question devrait aussi être posée: de quels autres outils la Confédération dispose pour se faire entendre sur son continent? À quelle table est-on encore convié, sauf à celle des accords commerciaux – comme le document que Guy Parmelin espère bientôt signer avec le Royaume-Uni, après la visite à Berne le 15 mai de la secrétaire d’État aux Affaires et au Commerce Kemi Badenoch?
Cette question interroge, bien sûr, nos partenaires de l’UE avec laquelle la négociatrice helvétique sortante va de nouveau causer le 30 mai à Bruxelles, sans autre agenda que de dire «Patientez encore!» à ses interlocuteurs. Soit. Elle oblige aussi à se demander ce que nous allons faire au sein de la Communauté politique européenne (CPE) qui réunit à nouveau ses 44 pays membres à Chisinau, en Moldavie, le 1er juin.
Je vous saoule avec ces termes. Pardon. Mais là, c’est important. La CPE peut devenir cet espace où la Suisse et le Royaume-Uni retrouvent une relation de confiance avec l’UE. Ces deux pays – comme la Norvège – ne sont pas candidats. Ils sont prospères. Ils ont des atouts en main. Mais pour abattre ces atouts, encore faut-il convaincre ses interlocuteurs que l’on accepte de jouer avec eux. Sans menacer sans cesse de quitter la table, ou refuser d’entamer la partie.
Une diplomatie tétanisée
Le drame actuel est que la diplomatie suisse est tétanisée. Les attaques sur la neutralité l’ont carbonisée. Le fait d’avoir un siège au conseil de sécurité de l’ONU pour deux ans est un cache-sexe avantageux. Tout cela, après tout, ne serait pas si grave si nos voisins, de facto, n’étaient pas en branle-bas de combat. Les Européens savent qu’ils doivent saisir ce moment pour exister.
L’élargissement futur à l’Ukraine a le mérite de tout bousculer. La Hongrie de Viktor Orbán, qui refuse maintenant de laisser l’UE rembourser les dépenses militaires des États membres pour Kiev, est de plus en plus marginalisée. On peut, dans ces conditions, que se replier. Mais comment faire pour préserver nos avantages économiques alors que nos voisins se remettent à subventionner leurs entreprises, à vouloir réindustrialiser, à réfléchir en termes de «d’abord l’Europe»?
Je m’arrête là. Stop. Berne n’est pas dos au mur. Le «Made in Switzerland» est un beau bouclier. Nos bataillons de frontaliers bien payés nous protègent des mauvaises humeurs de Paris ou Berlin, etc. Mais ne rêvons pas: la Suisse a besoin maintenant de ses voisins européens, et d’un espace apaisé pour dialoguer avec eux et se faire entendre.
On ferait bien, à Berne, de ne pas l’oublier.