Il paraît qu’il faut être deux pour danser le tango. Or la Suisse et l’Union européenne sont encore loin de s’étreindre et de s’engager sur la piste de danse diplomatique. Jeudi 20 avril à Bruxelles, la négociatrice en cheffe helvétique Livia Leu a de nouveau entretenu le flou sur les conditions d’attribution du fameux «mandat de négociation» supposé permettre d’entrer enfin dans le vif du sujet des négociations bilatérales, deux ans après le rejet du projet d’accord-cadre (ou accord institutionnel) par le Conseil fédéral, le 26 mai 2021.
L’actuelle Secrétaire d’État rendait de nouveau visite à la Commission européenne dans le cadre des «pourparlers exploratoires» qui, depuis 24 mois, consistent à préparer l’ébauche des futures discussions formelles. En clair: elle joue la montre en attendant d’avoir une feuille de route concrète à défendre à Bruxelles.
Lumière dans le tunnel bilatéral
Une petite lumière dans le tunnel bilatéral s’est allumée le 29 mars dernier, lorsque le Conseil fédéral a «donné mandat d’établir les grands axes d’un mandat de négociation avec l’Union européenne (UE) et de préciser davantage la base commune avec l’UE en vue de l’ouverture de négociations. Tout en préparant, en parallèle, des mesures nationales destinées à garantir la protection des salaires.» Les compteurs semblaient donc sur le point d’être remis à zéro entre Bruxelles et Berne, où Ignazio Cassis avait accueilli le 16 mars le vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic, chargé du dossier suisse.
Mais rien n’est simple dans ce labyrinthe helvético-communautaire. La principale annonce faite par Livia Leu a consisté à promettre une nouvelle entrevue bruxelloise le 30 mai. La date de la fin juin, évoquée pour l’obtention d’un mandat de négociation en bonne et due forme, n’est toujours pas verrouillée.
Aucun engagement sur le calendrier
«Ce qui me frappe, c’est qu’il n’y a aucun engagement sur le calendrier, juge le professeur Gilbert Casasus, longtemps spécialiste des questions européennes à l’université de Fribourg. La Commission reste fidèle à l’agenda que Maros Sefcovic a présenté le 15 mars à Fribourg, puis à Berne. Le Conseil fédéral, de son côté, tente de s’en affranchir, en faisant entièrement abstraction du calendrier politique de l’UE, qui n’est pas modifiable.»
Quel calendrier? C’est assez simple: à la suite des élections européennes de mai 2024, une nouvelle Commission entrera en fonction. Ce sera alors reparti pour un tour, et le Slovaque Sefcovic lui-même n’en fera peut-être pas partie.
Titulaire de la chaire Jean-Monnet de l’université de Genève, le professeur René Schwok confirme: «On pourrait avoir fin juin les grandes lignes d’un mandat qui serait tranquillement soumis à consultation afin de permettre éventuellement l’adoption d’un mandat définitif, je suppose, après les élections fédérales du 22 octobre 2023. Ce n’est qu’ensuite que le Conseil fédéral pourrait préciser le tir»
Faites le calcul: encore deux à trois mois avant de connaître les premières lignes d’un pré-mandat. Un trimestre de plus pour consulter les commissions de politique étrangère du Parlement et les Cantons. Puis surviendront les élections. L’année 2023 pourrait bien être, à nouveau, une année sans relance des négociations Suisse-UE. Ce qui convient assez bien, pour le moment, aux principaux acteurs économiques et aux partenaires sociaux helvétiques.
Un dénouement avant l’été 2024?
Possible, dans ces conditions, d’imaginer un dénouement de ce feuilleton diplomatique avant l’été 2024 et l’élection d’un nouveau Parlement européen, où les forces de droite souverainistes vont probablement obtenir davantage de députés? «On ne sait toujours pas à quelle étape ce mandat/lignes de mandat deviennent opérationnelles, juge une familière du dossier bilatéral. C’est un peu ridicule.»
On connait juste le menu du futur paquet d’accords que le Conseil fédéral aimerait négocier, sous le vocable «bilatérales III», pour enterrer définitivement le terme honni «d’accord-cadre»: de nouveaux accords sur la santé, la sécurité alimentaire et l’électricité. Les questions en suspens restent bien sûr celles du règlement des différends, des conditions de reprise par la Suisse du droit communautaire et d’une nouvelle contribution financière helvétique à la cohésion (pour les pays membres entrés dans l’UE depuis 2004).
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«Le dossier sur la citoyenneté européenne semble être bloqué», complète le professeur Gilbert Casasus. Quelles sont les concessions que le Conseil fédéral est prêt à faire aux syndicats suisses? Auront-elles aussi l’aval de Bruxelles? À voir, rien n’est moins sûr!
Il n’y a pas de réponse claire sur le mandat de négociation. Du côté suisse, c’est la prudence légendaire qui prédomine. Du côté de l’UE, la confirmation de leur agacement face à une stratégie diplomatique qui ne mise que sur l’usure. La question de la participation helvétique au programme de recherche européen Horizon Europe, essentielle pour les universités, reste également floue. Reprendrait-elle dès l’attribution d’un mandat par le Conseil fédéral?
Ce drôle de tango entre Berne et Bruxelles n’a pas fini de donner le tournis à tous ceux qui scrutent encore la piste de danse...