Ce n’est plus seulement «Le Monde», qui l’affirme. C’est maintenant le «Washington Post», qui enfonce le clou.
Dans un éditorial publié vendredi 7 avril, le grand quotidien américain qui révéla en 1974 le scandale du Watergate s’en prend à la neutralité suisse. La dénonciation de celle-ci est moins directe que dans les colonnes du quotidien Français, dont la prise de position au vitriol était intervenue en pleine conférence sur la sécurité de Munich, en février dernier.
Le «Washington Post», propriété du milliardaire fondateur d’Amazon Jeff Bezos, préfère interroger et poser la question qui fait mal. «Quelle valeur reste-t-il et quel message est transmis en s’accrochant à la neutralité face à l’invasion illégale d’une nation souveraine?», interroge le quotidien, dans sa tribune intitulée: «La guerre en Ukraine a entraîné un changement radical de la neutralité européenne».
Le dossier helvétique suivi à Washington
Le «Washington Post» est redevenu, grâce aux investissements éditoriaux de Jeff Bezos, un quotidien de référence aux États-Unis, où il est très lu par l’élite politique. Ses prises de position, sur le plan intérieur, sont favorables à l’administration Biden et hostiles à Donald Trump.
L’article consacré à la neutralité suisse est d’ailleurs un éditorial, signalé comme tel. Il s’agit donc d’une opinion. Mais elle montre que le dossier helvétique reste brûlant dans la capitale américaine, alors que la Confédération représente toujours les intérêts des États-Unis en Iran.
«Alors que des centaines de milliers de personnes ont perdu la vie et que des millions de réfugiés ont fui à travers le continent, les quelques pays européens qui refusent de prendre parti paraissent moralement obtus, obstructionnistes et arrogants aux yeux de nombre de leurs alliés et voisins, et même de leurs propres citoyens. Refuser de prendre en compte l’assaut de la Russie contre les normes internationales est considéré à juste titre comme un déni de la réalité», assène le Post.
Une affirmation qui coïncide avec l’entrée, le 4 avril, de la Finlande dans l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord), l’alliance militaire dominée par les États-Unis, dont la Suisse est un partenaire pour la paix.
«Une guerre qui a remodelé l’Europe»
Le débat politique helvétique sur la réexportation de munitions vers l’Ukraine, et les prises de position de Christoph Blocher en faveur d’une initiative sur la neutralité, sont à l’évidence suivie de près du côté du Congrès américain et de la Maison-Blanche.
«Face à une guerre qui a remodelé l’Europe, embrasser les valeurs occidentales – en premier lieu, isoler les agresseurs russes et renforcer la souveraineté de l’Ukraine – signifie sortir de la barrière de manière tangible. C’est ce qu’ont déjà compris de nombreuses personnes en Suisse, où le lien émotionnel profond avec la neutralité que ses citoyens ont longtemps considéré comme une caractéristique sacrée de la vie nationale est de plus en plus remis en question», poursuit le «Washington Post».
Pour le quotidien, le lien entre l’actuelle controverse géopolitique sur la neutralité ne peut pas être délié de la situation économique et financière du pays. La débâcle du Crédit Suisse est passée par là. L’alignement de la Suisse sur les sanctions européennes est perçu comme un point de non-retour.
«Même certaines des plus illustres banques suisses, pilier de l’économie du pays, ont favorisé le changement de la politique suisse, y compris le soutien aux sanctions occidentales. Elles l’ont fait en dépit des risques potentiels que ce changement pourrait poser pour les futurs dépôts de pays qui, comme la Russie, pourraient aller à l’encontre des politiques occidentales».
«La neutralité ne signifie plus qu’il n’y a rien à craindre»
Le quotidien américain passe en revue l’évolution des opinions publiques dans les autres pays neutres européens: l’Autriche et l’Irlande.
Et il en tire la conclusion suivante: «Le signe le plus révélateur du malaise croissant que suscite la neutralité officielle est peut-être le fait que les Suisses, les Autrichiens et même les Irlandais – qui affirment être neutres militairement, mais pas politiquement dans la guerre en Ukraine – ont annoncé de fortes augmentations de leurs dépenses de défense. Cela suggère une prise de conscience que, dans l’Europe d’aujourd’hui, bouleversée par l’illégalité de la Russie, la neutralité ne signifie plus qu’il n’y a rien à craindre.»