L'année de guerre en Ukraine a tout changé (épisode 4)
La neutralité existe encore en 2023, mais elle est déboussolée

Que veut dire être neutre en ce 24 février 2023, un an après l'agression russe contre l'Ukraine? La Suisse a appris à ses dépens qu'il est aujourd'hui difficile de répondre à cette question. Et surtout de convaincre.
Publié: 24.02.2023 à 18:55 heures
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Dernière mise à jour: 25.02.2023 à 12:59 heures
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Présent à la conférence annuelle sur la sécurité de Munich les 17 et 18 février, Ignazio Cassis a reconnu que la neutralité suisse est devenue difficile à expliquer. L'incompréhension de l'Allemagne sur le refus helvétique de réexporter des munitions vers l'Ukraine pèse lourd
Photo: Richard Werly
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Richard WerlyJournaliste Blick

Feu sur la neutralité suisse! Depuis l’éditorial cinglant du quotidien français «Le Monde» du 18 février, pour lequel une Confédération neutre n’est plus «tenable», l’impact de la guerre en Ukraine sur la diplomatie helvétique se fait encore plus violemment sentir. Difficile, en effet, de nier que la défense de la neutralité est devenue très compliquée, de la part d’un pays qui a, le 28 février 2022, décidé d’appliquer les sanctions décidées par l’Union européenne (UE).

Mais réduire la neutralité au cas suisse serait une erreur. D’autres pays neutres se retrouvent en difficulté, sommés de choisir un camp. L’année de guerre écoulée a engendré un grand chambardement. Ce sujet hier si consensuel est désormais l’objet d’un vif débat. Explications.

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La neutralité dévalorisée par la Suède et la Finlande

Lorsque le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a ouvert son courrier, le 18 mai 2022, le monde confortable de la neutralité a changé en quelques secondes. Ce jour-là, la Suède et la Finlande émettent, dans une lettre commune, leur désir de rejoindre au plus vite la plus puissante coalition militaire au monde, diabolisée par Vladimir Poutine.

La neutralité suédoise était pourtant aussi enracinée dans l’histoire du pays que la neutralité suisse. C’est en 1834, alors que se referment les plaies des guerres Napoléoniennes, que le roi Charles XIV (né Bernadotte et ancien général Napoléonien), proclame que son royaume deviendra neutre et ne prendra plus part aux conflits européens. Vingt ans plus tôt, pour rappel, le 20 mars 1815, la Confédération suisse est devenue «perpétuellement neutre» à l’issue du Congrès de Vienne.

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Le cas de la Finlande est tout aussi symbolique, puisque ce pays a opté pour la neutralité en 1946, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il s’agissait alors, pour les autorités d’Helsinki, d’apaiser à tout prix l’ex-URSS à laquelle une guerre l’avait opposé entre novembre 1939 et mars 1940.

Pour ces trois pays, la neutralité était donc synonyme de paix, d’indépendance et de souveraineté. Or voici que le courrier du 18 mai 2022 à fait voler tout cela en éclats, compliquant aussi sérieusement la vie de l’Autriche, de l’Irlande et de Malte, trois pays neutres, mais membres de l’Union européenne.

Tous les regards se sont bien sûr tournés vers la Suisse, où la décision très rapide du Conseil fédéral d’appliquer les sanctions de l’Union européenne suscite, dès le début de la guerre, de vives contestations. Dès le mois d’avril 2022, alors que les caméras du monde entier filment le calvaire de la ville portuaire ukrainienne de Marioupol aplatie par l’artillerie russe, les autorités helvétiques mettent un premier veto à la réexportation de munitions suisses vers l’Ukraine.

Le 8 novembre 2022, l’initiative du mouvement souverainiste et antieuropéen Pro Suisse (ex-ASIN) est lancée. Puis survient, en décembre 2022, de nouveau la question des munitions pour les chars allemands Guépard. Un débat s’ouvre au parlement à Berne. Il se poursuit au moment d’écrire ces lignes. Tout le monde l’admet: la neutralité tient bon, mais elle a du plomb dans l’aile.

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La neutralité en mal de discours refondateur

La guerre en Ukraine a tué le mythe de la neutralité. Elle n’empêche en rien la Suisse et les autres pays neutres de le demeurer, et de respecter le droit de la neutralité énoncé dans le traité de La Haye de 1907, auquel Micheline Calmy-Rey fait référence dans son ouvrage «Pour une neutralité active» (Ed. Savoir Suisse).

Le fait que le Conseil fédéral ait décidé d’adopter les sanctions européennes contre la Russie, justifié par la violation caractérisée du droit international, peut, lui, aussi, être compatible avec le maintien de la neutralité. Mais il manque aujourd’hui un discours refondateur.

Cette année de conflit en Ukraine a exposé la barbarie de l’armée russe. Pour l’ancien vice-ministre des finances russes Sergueï Aleksaschenko, interrogé par Swissinfo en septembre 2022 «La neutralité de la Suisse pourrait ne servir à rien […] Je pense que ce n’est pas une bonne position de rester neutre quand le monde est menacé par un mal global. Quelle sera la position helvétique si Poutine provoque une catastrophe nucléaire à la centrale de Zaporijia?»

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Vladimir Poutine lui-même a d’ailleurs tranché. Au mois d’août 2022, alors qu’une ébauche de pourparlers de paix semblait être sur la table entre les deux belligérants, le Kremlin a refusé que l’Ukraine soit représentée en Russie par la Suisse, estimant que Berne avait «perdu son statut neutre».

Comment sortir de cette situation? Le mérite de l’initiative soutenue par l’UDC de Christoph Blocher est qu’elle repose clairement les questions. Elle estime que la neutralité suisse doit s’appliquer de façon permanente et sans exception, que le pays doit être armé avec une armée capable de défendre le pays et les gens en cas d’attaque, que la Suisse ne doit adhérer à aucune alliance militaire ou défensive et qu’elle ne doit pas participer aux conflits militaires entre États tiers et renonce aux mesures coercitives non militaires… c’est-à-dire aux sanctions contre les États belligérants.

Le texte prévoit en revanche que «la Suisse utilise sa neutralité perpétuelle pour les 'bons offices' afin de prévenir et de résoudre les conflits. Ce qui ouvre la porte à la reprise de sanctions édictées et votées par le Conseil de sécurité des Nations unies.

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La neutralité, problématique pour les voisins, incomprise par les autres

C’est tout le problème de cette année de guerre entre l’Ukraine et la Russie. Un conflit régional s’est transformé en guerre mondiale, au moins du point de vue de ses conséquences économiques et des fractures entre pays du nord et pays du «sud global». Or, pour ces derniers, la Suisse s’est rangée du côté des ennemis de la Russie en appliquant des sanctions que plusieurs grands pays émergents, comme la Turquie, le Brésil, l’Indonésie et bien sûr la Chine, se refusent à suivre.

Autre problème: l’Union européenne. En un an, l’UE a marqué des points même si ses décisions sont souvent intervenues sous la pression des événements, de l’OTAN et des États-Unis.

Les 27 pays membres de l’Union sont restés unis et ils ont adopté dix paquets de sanctions contre la Russie, du jamais vu! Et ce, malgré la tentation permanente de certains pays comme la Hongrie d’opposer leur veto.

Autre nouveauté pour l’UE: la livraison directe d’équipements militaires financés sur fonds communautaires, ce qui n’avait jamais eu lieu au cours de son histoire. Or les pays européens qui entourent la Suisse ne cachent plus leur irritation envers cette neutralité helvétique. Ils pensent bien entendu aux munitions pour les chars allemands. Mais ils s’inquiètent aussi de ce qui pourrait advenir si l’initiative de l’UDC était finalement votée et qu’elle entrait en vigueur. Entre le 24 février 2022 et le 24 février 2023, le monde a donc changé pour la Suisse neutre.

Le pays est, de facto, sous surveillance. À la merci de pressions si cette neutralité devenait, pour ses alliés et partenaires économiques, un élément trop perturbateur. Ou pire, un obstacle pour réaliser leur objectif commun, réaffirmé ces derniers jours: ne pas permettre à la Russie de l’emporter en Ukraine.

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