Il y a bien longtemps que je n’ai plus acheté ou regardé «Playboy». Je ne savais même plus que le magazine fondé par Hugh Hefner (décédé en 2017) était encore disponible dans les kiosques dans sa version française. Et vous? Je suis sûr que même les hommes de ma génération, c’est-à-dire les mâles blancs de plus de cinquante ans, ont oublié ce que «Playboy» signifiait il y a vingt ou trente ans.
Alors disons, pour faire vite, que ses pinups dénudées et coiffées d’oreilles de lapin en fourrure faisaient partie du décor masculiniste de l’époque. Poitrine avantageuse, sourire artificiel et promesse de sexe à gogo: Blick, en Suisse alémanique, utilisa longtemps les mêmes recettes, en version plus populaire. Dont acte. On ne refait pas l’histoire. On la regarde dans un rétroviseur en essayant de s’en tenir aux faits. Avec lucidité.
«Playboy» n’a qu’une seule vertu: sa marque
Marlène Schiappa, la ministre française née en 1982, sait tout cela par cœur. Elle sait que «Playboy», dont elle fera la couverture ce jeudi 6 avril, n’a plus qu’une seule vertu: sa marque, connue dans le monde entier ou à peu près. L’ancienne élue locale du Mans, ville des rillettes et de la course automobile située à l’ouest de l’Hexagone, a surtout compris comment fonctionne le buzz. Rien de plus croustillant, pense-t-elle, qu’une féministe de 2023, déshabillée et «olé olé». La mise en scène digne des toiles d’Auguste Renoir, peintre des femmes françaises dotées de formes avantageuses, a l’avantage de faire le reste. On pense à Marianne, l’égérie de la République. Il ne lui manque plus qu’un casque et une armure. Marlène Schiappa rejoue, sur papier glacé, Jeanne d’Arc à Hollywood. Dommage que le libertin invétéré Hugh Hefner, créateur du magazine en décembre 1953, ne soit plus là pour l’accompagner, cigare aux lèvres. Idéalement dans une baignoire en or remplie de bain moussant!
Marlène Schiappa, surtout, pense à sa propre marque et à son avenir. Lorsqu’elle officiait, sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, comme secrétaire d’État chargée de l’égalité femmes-hommes, cette communicante née, autrice de livres passablement érotiques dans le passé, squattait le devant de la scène médiatique. Mais voilà qu’elle n’est aujourd’hui plus rien, ou presque. Son portefeuille de l’économie solidaire est un placard pas très doré.
La Première ministre Elisabeth Borne, haut fonctionnaire de 61 ans aussi besogneuse que sans empathie, est tout ce que Marlène (comme Dietrich, et pas loin de Marylin) espère ne jamais être! Terne. Triste. Il lui fallait donc briser ce plafond de verre. Son entretien à «Playboy» qui fait le «buzz» depuis son annonce vendredi dans les colonnes du «Parisien» est là pour le pulvériser. Enfin, une femme qui s’assume et se permet un peu d’audace.
Complice cathodique de Cyril Hanouna
Tout ceci serait amusant si des centaines de milliers d’autres femmes françaises, toutes aussi séduisantes et piquantes que Marlène Schiappa, ne se battaient pas contre le projet de réforme des retraites portées par le gouvernement dont elle fait partie. Tout ceci serait peut-être drôle si Marlène (pardon pour la familiarité) n’était pas l’une des ministres favorites du «caïd cathodique» Cyril Hanouna, l’homme qui fait régner la loi de la vulgarité intégrale sur le paysage audiovisuel français. Tout ceci serait léger et franchouillard si, dans le même temps, le ministre du Travail et des Retraites Olivier Dussopt n’avait pas choisi ce moment de crise de faire son coming out dans le magazine «Tétu». Tout ceci nous amuserait si Emmanuel Macron, éternellement soucieux de rester le plus jeune président de l’histoire de France, n’avait pas accordé en pleine bataille sociale un entretien à Pif Gadget, l’ancien magazine pour enfants du Parti communiste..
Marlène Schiappa a été, parait-il, «recadrée» par Elisabeth Borne. Il n’y avait pourtant pas de quoi. Cette ministre aujourd’hui privée de lumière médiatique dans un recoin du ministère de l’Economie, à Paris, veut simplement montrer qu’elle existe encore. Sans buzz, plus de marque Schiappa! Avec Marlène, c’est au fond la Macronie qui est déshabillée: preuve que la fin de partie s’annonce triste pour cette force réformatrice qui, en 2017, avait su allumer chez de nombreux français l’étincelle du changement et de la disruption portée par un président élu à 39 ans.
Des transgressions de pacotille
Il ne reste plus aux premières recrues politiques d’Emmanuel Macron, comme Marlène Schiappa, que des transgressions de pacotille. Le pays est bloqué. La réforme des retraites est dictée par l’endettement chronique de la France. La parole présidentielle est devenue (presque) inaudible. Le révolutionnaire Mélenchon vocifère. Marine Le Pen attend son heure nationale-populiste.
«Playboy» est un refuge douillet. Marlène est, au fond, comme les pin-ups du Mid-west américain dénichées jadis par Hugh Hefner à coups de compliments et de liasses de dollars: elle demande juste un peu de rêve. Loin de la réalité du pouvoir et de cette France qui lui échappe, dont elle aspire sans doute à s’évader.