Son acronyme est en train de devenir une bombe politico-religieuse dont la Commission européenne se serait bien passée en cette rentrée sous haute tension, en raison de la guerre en Ukraine.
Impossible en effet d’imaginer une pire collision d’événements. Le 11 août, l’attaque perpétrée aux Etats-Unis par un jeune extrémiste musulman chiite contre le romancier Salman Rushdie, 75 ans (toujours hospitalisé, même si ses jours ne sont plus en danger), ravive l’inquiétude sur les ramifications islamistes en Europe et sur le risque d’attentats fanatiques contre les intellectuels défenseurs de la laïcité.
Le lendemain 12 août, à l’occasion de la journée internationale de la jeunesse, l’exécutif communautaire diffuse une vidéo sur Instagram montrant de jeunes adeptes voilées du FEMYSO, le Forum des organisations européennes de jeunes et d’étudiants musulmans (Forum of European Muslim Youth and Student Organizations). Celui-ci a bénéficié de subventions européennes en dépit de ses liens supposés avec les Frères musulmans, la nébuleuse sunnite fondamentaliste dont le fondateur est le grand-père de l’activiste suisse Tariq Ramadan.
Dans le collimateur des mouvements anti-islamistes
La vidéo promotionnelle aurait du, comme beaucoup, rester confidentielle. Sauf que le FEMYSO est dans le collimateur des mouvements anti-islamistes depuis sa campagne controversée en faveur du voile, financée par le Conseil de l’Europe, l’organisation basée à Strasbourg dont la Suisse est membre. La collision des images et des événements est plus que redoutable. Côté pile, des gouvernements européens solidaires de l’auteur des «Versets sataniques», inquiets d’être de nouveau attaqués au nom d’une conception fanatique de l’islam. Coté face, la puissante Commission européenne, bras armé des 27 États-membres et supposée préparer l’avenir des nouvelles générations, qui finance un mouvement de jeunes régulièrement pointé du doigt pour son soutien aux thèses islamistes fondamentalistes. Un mouvement habitué, dans le passé, à convier Tariq Ramadan à ses événements.
En France, le détonateur a été activé jeudi 18 août par la diffusion d’une enquête accusatrice de l’hebdomadaire Marianne. Son titre? «FEMYSO, ces jeunes européens qui gravitent dans la galaxie des Frères musulmans». Principale cible de l’article? Les liens étroits entretenus pas ce forum de 32 organisations de jeunesse avec les institutions communautaires. «Ce n’est pas un hasard si le FEMYSO a installé ses bureaux à Bruxelles accuse Marianne. En septembre 2003 déjà, le FEMYSO coorganisait un événement au Parlement européen sur le dialogue interreligieux. Preuve que la coopération se poursuit jusqu’aujourd’hui: le 17 novembre prochain, la commissaire européenne à l’égalité Helena Dalli doit recevoir à Bruxelles une délégation de l’association. Parmi les partenaires institutionnels que le FEMYSO mentionne sur son site: la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Europe.»
Aveuglement européen
Accuser la Commission européenne - et par ricochet l'UE - d’aveuglement est grave. Il est donc important de rappeler que le FEMYSO, à l’origine de la campagne controversée en faveur du voile musulman du Conseil de l’Europe (l’institution de 46 pays membres basée à Strasbourg, y compris la Turquie, dont dépend la Cour européenne des droits de l’homme), n’a pas été mise en cause dans cette enceinte, y compris par la Suisse qui en est membre depuis 50 ans et en a assumé la présidence semestrielle tournante en 2009. Il est aussi important de redire que ce Forum de jeunes inclut logiquement des organisations d'étudiants européens originaires de tous les pays du continent, dont la Turquie.
Le FEMYSO a en outre toujours nié soutenir les thèses islamistes: «Le Forum des Organisations Européennes Musulmanes de Jeunes et d’Étudiants est une organisation européenne non-gouvernementale à but non lucratif qui œuvre à promouvoir la participation à une citoyenneté active auprès de la jeunesse musulmane européenne depuis 1996 peut-on lire sur son site. Le FEMYSO essuie des attaques répétées de la part de groupuscules d’extrême-droite et d’autres groupes l’accusant d’être liée aux Frères Musulmans. Il nie catégoriquement ces allégations calomnieuses qui n’ont pour volonté que miner notre organisation.»
Manque de discernement
Soit. Mais comment est-il possible que la Commission européenne n’ait pas mesuré l’impact de son clip, qui associe l’image de sa présidente Ursula Von Der Leyen et celle de jeunes du FEMYSO? Comment sa direction de la communication a pu oublier que depuis plusieurs mois, les eurodéputés d’extrême-droite sont à l’affût et que la polémique se rallumerait dès la diffusion de la vidéo ?
Exemple en janvier 2022, avec la question écrite de l’eurodéputé d’extrême-droite Nicolas Bay (passé dans le camp d’Eric Zemmour après avoir quitté le Rassemblement national de Marine le Pen durant la campagne présidentielle). Celui-ci affirmait alors que «le FEMYSO regroupe 32 organisations islamiques, dont la communauté islamique Millî Görüş – Jeunes et étudiants. Or selon les services de renseignement allemands, le mouvement Millî Görüş diffuse des opinions antisémites et ses objectifs vont à l’encontre des principes fondamentaux de l’ordre de base démocratique libéral.»
«En contradiction avec les valeurs de la République»
L’eurodéputé expliquait ensuite, à juste titre que «le gouvernement français considère également que l’organisation est en contradiction avec les valeurs de la République avant de déplorer le fait que «la Commission européenne finance et soutient cette organisation».
Et d'accuser et d'interpeller: «Le 17 novembre 2021, Helena Dalli, commissaire (maltaise) européenne à l’égalité, a officiellement rencontré des représentants de la FEMYSO, aidant ainsi l’islamisme à s’infiltrer dans les institutions européennes. La Commission va-t-elle réaliser un audit approfondi sur l’utilisation des subventions européennes par FEMYSO? Demandera-t-elle à l’organisation de restituer tout fonds utilisé pour des projets jugés incompatibles avec les valeurs de l’UE?»
Le carton rouge était brandi. La France, qui assumait la présidence tournante de l’UE durant le premier semestre 2022, avait d'ailleurs prévenu ses interlocuteurs bruxellois de ce dossier empoisonné.
Le mal est fait. Il est profond
Résultat? Rien. Ou plutôt si. Cette vidéo diffusée imprudemment le 12 août et, coté formel, une réponse administrative, par écrit, à la question de Nicolas Bay. Elle est signée, le 26 juin 2022 par le commissaire (belge) à la justice Dider Reynders: «Le suivi de la mise en œuvre des subventions auxquelles le Forum des organisations européennes de jeunes et d’étudiants musulmans (FEMYSO) a participé n’a révélé aucune violation de ce type à ce jour a répliqué celui-ci le 24 juin 2022, soit six mois plus tard».
Il poursuit: «Selon le modèle de convention de subvention utilisé, les projets peuvent être audités jusqu’à cinq ans après le paiement final. En principe, les subventions à auditer sont sélectionnées sur la base de méthodes d’échantillonnage statistiquement représentatives. En cas de soupçon d’utilisation irrégulière d’un financement de l’UE, un rapport doit être adressé à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), qui est seul habilité à décider de l’ouverture d’une enquête».
Le mal est fait et il est sérieux, même s’il est normal, pour la Commission européenne, de promouvoir la diversité culturelle et religieuse, et si l’approche française de la laïcité n’est pas partagée par les 27 pays de l’Union, loin s’en faut. Du coté de l’hexagone en tout cas, le torchon brûle. Le ministre français de l’intérieur Gérald Darmanin affirme s’être saisi du dossier. La chaîne CNews, tribune des intellectuels réactionnaires, s’est emparée du sujet avec ce titre: FEMYSO: «La Commission européenne promeut une association proche des frères musulmans et crée la polémique.»
Et pendant ce temps-là, Salman Rushdie se remet de ses blessures dans son hôpital new-yorkais. Sans que le FEMYSO ait jusque-là jugé bon, sur son site web truffé de déclarations diverses, de condamner son agresseur Hadi Matar, américain musulman de 24 ans, interpellé, détenu et muré dans le silence.