Ils avouent leur peur
De Rushdie à Charlie, l'ombre terroriste sur la France des lettres

L'attentat contre l'écrivain Salman Rushdie vient de le confirmer: les «fatwas» islamistes ne disparaissent pas. En France, où le procès des attentats de novembre 2015 vient de s'achever après celui du massacre de «Charlie Hebdo», le monde des lettres dit ses peurs.
Publié: 16.08.2022 à 18:58 heures
Le 29 juin dernier, le procès des attentats du 13-Novembre 2015 s'achevait à Paris. Le 5 septembre, dans le même Palais de justice de Paris, s'ouvrira celui de l'attentat de Nice, le 14 juillet 2016. Pour tous les journalistes et écrivains français dressés contre l'islamisme, l'attaque contre Salman Rushdie ravive les pires souvenirs.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

«L’appel au meurtre religieux ne connaît pas de date de péremption.» L’écrivain qui s’exprime ainsi est le romancier franco-algérien Kamel Daoud, Prix Goncourt 2014 du premier roman et Prix de la francophonie pour «Meursault contre-enquête» (Ed. Actes Sud). Collaborateur de l’hebdomadaire «Le Point», invité fréquent des plateaux de télévision, Kamel Daoud, né en Algérie, fait partie de ces intellectuels qui ont choisi de faire face et d’alerter sur les dangers de l’islamisme dans l’Hexagone.

«Les fidèles radicaux sont rancuniers»

Sa riposte à l’attaque récente contre Salman Rushie par un jeune extrémiste, Hedi Mattar, le 12 août dans l’Etat de New-York, vaut avertissement pour le monde des lettres français, directement visé à travers le massacre de la rédaction de «Charlie Hebdo» le 7 janvier 2015. «Il faut expliquer que les religions messianiques ont la dent dure et que leurs fidèles radicaux sont rancuniers. Puisque ces religieux ont l’éternité, ils ont le temps, et un imberbe croira toujours plaire à son dieu en lui offrant votre peau. Ensuite, il s’agit d’une croyance qui a besoin du diable et de tuer.»

Rien à rajouter. Kamel Daoud sonne, avec ces mots, le branle-bas de combat alors que va s’ouvrir, le 5 septembre prochain, un nouveau procès-fleuve: celui de l’attentat de Nice commis le 14 juillet 2016. Pas moins de 86 personnes avaient trouvé la mort sous les roues du camion fou lancé sur la promenade des Anglais par une jeune Tunisien de 31 ans, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, abattu par la police.

Pourquoi cette peur palpable en France?

Pourquoi cette peur palpable en France? Salman Rushdie, qui est heureusement en train de se remettre de ses blessures à l’hôpital, est en effet un écrivain américano-britannique et son roman visé en 1989 par la «fatwa» de l’Ayatollah Khomeiny, «Les Versets sataniques», a été écrit dans la langue de Shakespeare. La réponse tient dans un concept clé de la République française, et dans le nom d’un journal satirique.

Le concept est celui de laïcité, qui implique la neutralité de l’Etat et «impose l’égalité de tous devant la loi sans distinction de religion ou conviction», garantissant les mêmes droits aux croyants et aux non-croyants. Le journal est évidemment «Charlie Hebdo», l’hebdomadaire qui continue toujours de paraître, après avoir été décimé par les frères Cherif et Saïd Kouachi le 7 janvier 2015. L’actuel directeur du journal, le dessinateur Riss, est comme Salman Rushdie visé par une «fatwa» venue du Pakistan, où des personnalités politiques ont même promis une récompense à ceux qui le tueront. Un engrenage de la mort terroriste déclenché par la publication en 2006, par Charlie, des caricatures de Mahomet publiées un an plus tôt au Danemark par le quotidien «Jyllands Posten».

Décapitation de Samuel Paty en 2020

L’autre raison des inquiétudes en France, ex-pays colonisateur où vivent environ 6 millions de musulmans (l’absence de statistiques dites «ethniques» ne permet pas de vérifier ce chiffre), est la séquence judiciaire dans laquelle la République est plongée depuis la tenue, fin 2020, du procès des complices dans l’attentat contre «Charlie Hebdo». Impossible en effet d’oublier la décapitation, le 16 octobre 2020, en plein procès, de l’enseignant Samuel Paty, ciblé par les fondamentalistes parce qu’il avait montré en classe des caricatures de Charlie. Le procès-fleuve des attentats parisiens du 13 novembre 2015 a suivi, pour s’achever le 29 juin par la condamnation à une peine de perpétuité incompressible de l’unique survivant des commandos de tueurs de l’Etat Islamique (Daech), Salah Abdeslam. Et les juges de la Cour d’assises spéciale antiterroriste vont reprendre place dans la même salle, début septembre, pour le procès de Nice…

Cette peur des intellectuels français qui se dressent contre les dangers islamistes est alimentée par le retour régulier, sur le devant de la scène, de prédicateurs musulmans ouvertement hostiles aux lois républicaines. En juillet, l’imam marocain Hassan Iquioussen, né en France et réputé proche des Frères musulmans, a été visé par une procédure d’expulsion vers le Maroc pour avoir tenu des propos antisémites. Son attitude et ses propos rappellent ceux de l’activiste Abdelhakim Sefrioui, à l’origine de la dénonciation contre Samuel Paty et aujourd’hui en détention. Or l’expulsion de l’imam Iquioussen n’a pas pu avoir lieu. Le Tribunal administratif de Paris a suspendu cette décision le 5 août, obligeant le Ministère de l’intérieur à interjeter appel.

Protection policière pour plusieurs intellectuels

Plusieurs personnalités intellectuelles françaises vivent sous protection policière. C’est le cas de l’ancien candidat à la présidentielle Eric Zemmour, par ailleurs condamné trois fois pour incitation à la haine raciale. Idem pour l’ex-journaliste de Charlie, Zineb Al Rhazaoui, autrice de «Détruire le fascisme islamique» (Ed. Ring), pour l’ancien directeur de l’hebdomadaire Philippe Val, habitué du plateau de Léman Bleu, ou pour le spécialiste de l’islam Mohamed Sifaoui.

Au pays de Voltaire, régulièrement secoué par des débats politiques sur le port du voile intégral (interdit dans les lieux publics depuis 2010) ou sur le port du burkini dans les piscines, la tentative de meurtre sur Salman Rushdie ravive logiquement les pires fantômes. Des fantômes contre lesquels des responsables musulmans ont aussi le courage de se dresser.

Après avoir été critiqué pour son silence initial, le recteur de la mosquée de Paris a ainsi publié mardi 16 août une lettre ouverte à l’écrivain dans laquelle on peut lire ces mots: «Choqué, je le suis. Oui, cette attaque m’a d’abord plongé dans un mutisme de sidération. J’ai eu du mal à le croire. Votre agresseur n’était même pas né lorsqu’un infâme message décrétant votre mise à mort est venu nourrir nos plus grandes inquiétudes quant à l’avenir de la liberté dans le monde. Je croyais cette lointaine abomination éteinte, passée dans l’oubli. Ce qui vous est arrivé le vendredi 12 août dernier au centre culturel de Chautauqua, aux États-Unis, a ravivé nos peurs profondes. L’annonce de cette attaque contre votre personne avait des allures cauchemardesques. Non! Pas ça! Pas après tant d’horreurs commises au nom de l’islam!»

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