Guerre au Sahel
Les Français sont partis du Mali, les djihadistes peuvent revenir

L'armée française combattait depuis neuf ans au Mali les groupes armés terroristes islamistes. Son départ, lundi 15 août, pourrait à nouveau remettre en cause l’unité du pays. Et relancer, au nord, la constitution d’un califat.
Publié: 16.08.2022 à 11:28 heures
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Dernière mise à jour: 16.08.2022 à 13:50 heures
Après le départ du dernier soldat français de l’opération Barkhane, la France a promis de rester engagée contre le terrorisme. Mais comment faire si les djihadistes reprennent pied dans le nord du Mali ?
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il ne s’agit plus, pour eux, de prendre Bamako, la capitale du Mali que les derniers soldats français de l’opération Barkhane ont quitté ce lundi 15 août. Il ne s’agit plus pour eux d’envisager de s’emparer d’un pays comme les talibans ont finalement réussi à le faire en Afghanistan après vingt ans de guerre ininterrompue, voici un an.

Les djihadistes des groupes islamistes sahéliens, toujours actifs dans le nord de Mali, ont un autre objectif, tout à fait réalisable: obtenir à terme la partition de cet immense pays de 1,2 million de km2 (soit plus de trente fois la superficie de la Suisse). Pour s’assurer à nouveau du contrôle des routes commerciales de contrebande, de trafics et d’émigration à travers le Sahara qui représentent une importante source de revenus. Avec l’assentiment de populations rurales, souvent dominées par les tribus touaregs – l’armée française n’a pas réussi, durant neuf ans de conflit, à la rallier à sa cause.

Les djihadistes peuvent préparer leur retour

Oui, les djihadistes peuvent préparer leur retour. Mieux: ils ont désormais toute latitude politique pour le faire. Le gouvernement militaire de Bamako, protégé par la milice russe Wagner, a pour priorité de sécuriser son pouvoir. En même temps que la région autour de la capitale et des très lucratives mines d’or situées dans le sud du pays, près de la frontière avec la Côte d’Ivoire, la Sierra Leone et la Guinée.

Oubliées, les populations de Kidal ou de Tombouctou. L’intervention militaire française Serval, déclenchée en janvier 2013, avait pour but de les libérer de l’occupation par les fondamentalistes islamistes, tout en évitant la chute programmée de Bamako et de tout le pays.

La doctrine des autorités maliennes, inspirée de celle mise en place en Mauritanie, est aujourd’hui de négocier, entre autres sur la base des accords d’Alger signés en mai 2015. «Au Sahel, dix années d’interventionnisme militaire n’ont pas résolu une crise sécuritaire aux conséquences politiques, sociales, économiques et humanitaires désastreuses, argumente une note de l’Institut d’études de sécurité sud-africain publiée en mars 2022. De nombreuses voix s’élèvent donc pour demander une réponse politique qui inclurait également des formes de dialogue avec les groupes extrémistes violents.»

Quelques jours après l’attentat contre Salman Rushdie

L’ironie des circonstances est cruelle, quelques jours après l’attentat commis près de New York contre l’écrivain Salman Rushdie, l’auteur des «Versets sataniques» – il était visé depuis 1989 par une «fatwa» de l’Ayatollah Khomeiny, le défunt chef religieux iranien. Elle l’est encore plus alors que les Talibans, solidement installés au pouvoir en Afghanistan, viennent de disperser, samedi 13 août à Kaboul, une courageuse manifestation de femmes à coups de rafales de kalachnikovs. Elle l’est aussi alors qu’un journaliste français, Olivier Dubois, est toujours retenu en otage par des groupes armés qui l’ont kidnappé le 8 avril 2021 à Gao, dans le nord du Mali.

La vérité est que la guerre contre le terrorisme qui se poursuit au Sahel, où la France dispose encore d’environ 3000 soldats de l’opération Barkhane déployés sur trois bases (N’Djamena au Tchad, Niamey au Niger et Ouagadougou au Burkina Faso), va désormais buter sur un énorme obstacle. Comment pourchasser dans ces régions désertiques les djihadistes qui, demain, vont reprendre pied au Mali et assurer, grâce à leurs revenus tirés des trafics, des subsides et une forme de sécurité aux populations locales?

Inquiétantes conclusions de «Crisis Group»

L’observatoire des conflits mondiaux «Crisis Group» en a déjà tiré une inquiétante conclusion. «Les actions de Bamako compliquent grandement la tâche des acteurs extérieurs soucieux de la stabilité du Sahel, peut-on lire dans sa dernière «alerte» publiée en mai. Bien que la querelle du gouvernement avec la France semble lui avoir valu un large soutien interne, elle inquiète les pays voisins qui luttent pour contenir la violence djihadiste sur leur propre sol.»


Ce vocabulaire diplomatique cache une réalité: les forces déployées au Mali par la milice russe Wagner, payée sur les revenus des mines d’or, ne sont pas de taille à assurer un minimum de sécurité dans cet enfer logistique que sont les régions sahéliennes. Les quatre hélicoptères russes livrés en mars à Bamako ne peuvent sécuriser qu’un périmètre géographique restreint.

Pour le reste? Leurs expéditions punitives et expéditives, qui consistent à repérer les semeurs de troubles et à les exécuter sommairement, ne sont pas de nature à rétablir l’ordre au-delà des villages dans lesquels les mercenaires Wagner sont capables de patrouiller. «Au Mali, des débats nationaux successifs ont dégagé un relatif consensus, au moins depuis 2017, sur la nécessité d’ouvrir un dialogue avec les djihadistes maliens, poursuit la note de l’Institut sur la sécurité d’Afrique du Sud. En décembre 2021, des pourparlers avaient été annoncés, puis démentis. Quelques mois plus tôt, de discrètes négociations avaient provisoirement desserré l’étau sur la ville de Djibo, au Burkina Faso.»

Et de conclure: «Nos recherches montrent que la conviction religieuse n’est pas la seule cause d’enrôlement dans les groupes djihadistes au Sahel. Beaucoup s’associent à ces groupes pour garantir leur propre protection, celle de leurs proches ou de leurs moyens d’existence – ou pour se venger des abus des forces armées. Ces motivations immédiates se superposent souvent à des frustrations liées à des injustices sociales, à l’absence de perspectives et au manque de services de base, tels que l’accès à l’eau, à l’éducation, ou à la santé. S’y ajoutent les lacunes des services de sécurité et de justice de l’Etat.» L’enrôlement dans les groupes djihadistes est avant tout un moyen de survie. Espérer son déclin, dans ces conditions, est simplement irréaliste.

A lire: «Dialoguer avec les djihadistes: enseignements mauritaniens pour le Sahel» sur www.issafrica.org

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