Le premier est, depuis 40 ans, présidé par un chef de l’État la plupart du temps «absent» de son pays, où les tensions entre anglophones et francophones menacent de déboucher sur une guerre ouverte, attisée par les djihadistes. Le second est un État africain toujours chéri de la communauté internationale et de l’Union européenne (UE), qui penche de plus en plus vers la dictature. Le troisième est un narco-État, considéré comme la plate-forme de transit vers l’Europe des cartels de la drogue latino-américains.
Cameroun, Bénin, Guinée-Bissau: tel est le tiercé des pays africains qu’Emmanuel Macron a choisi de visiter du 25 au 28 juillet pour sa première visite sur le continent noir depuis sa réélection en avril. Trois pays où le basculement vers le précipice politique peut intervenir à tout moment. Trois pays emblématiques de ces grenades dégoupillées que sont, dans l’ombre de la guerre en Ukraine, les États d’Afrique noire où l’Union européenne, principal bailleur de fonds pour l’aide au développement (30 milliards d’euros d’aide pour la période 2021-2027) et principal pourvoyeur de vaccins anti-covid, n’est plus qu’un tiroir-caisse, sans réelle capacité d’influence et de stabilisation.
Revisiter la fameuse «Françafrique»
Certes, abandonner ces pays à leur sort, alors que la Chine et la Russie rêvent d’en être les arbitres ou les nouveaux proconsuls, serait la pire des solutions. Arrivé au pouvoir en 2017 en promettant de s’appuyer sur la diaspora africaine pour revisiter la fameuse Françafrique (cette zone d’influence héritée de l’époque coloniale), le président français est dans son rôle en cherchant, tant bien que mal, une porte dans laquelle Paris pourrait encore mettre son pied pour éviter qu’elle ne lui claque à la figure. Sauf que les portes des trois pays où il se rend n’ont plus de poignées dignes de ce nom.
Au Cameroun, Paul Biya, 89 ans, est un président fantôme qu’Emmanuel Macron ferait mieux de voir à Paris, où il passe le plus clair de son temps, entre l’hôpital et ses hôtels particuliers. Au Bénin, le président Patrice Talon a, depuis 2019, pris le contrôle de tous les leviers de pouvoir. Et en Guinée-Bissau, pour faire simple, l’État est aux abonnés absents, sous la menace d’une armée dont les officiers supérieurs sont achetés par les cartels. Difficile, dans un pareil contexte, de voir de la lumière dans le tunnel…
Au Sahel, la loi du silence
L’autre vérité de ce voyage présidentiel est le choix qu’Emmanuel Macron a préféré éviter. En théorie, compte tenu de la présence de l’armée française sur place – environ 4000 soldats – , le locataire de l’Élysée aurait dû réserver le premier déplacement africain de son second mandat au Niger, au Burkina Faso, au Tchad ou en Mauritanie, les quatre pays qui, contrairement au Mali désormais allié à la milice russe Wagner, restent encore des alliés a priori fiables de la France et de l’UE dans la lutte contre le djihadisme au Sahel.
Mais que pouvait-il y faire? Et qu’aurait-il pu y dire? Jusqu’à la fin de cet été, date à laquelle les derniers soldats français de l’ex-opération Barkhane auront quitté les terres maliennes où ils opéraient depuis 2013, la raison d’État impose le silence. Motif: la junte militaire malienne, en embuscade dans Bamako protégée par les mercenaires de Wagner, n’attend qu’un faux pas pour mobiliser la population contre son ancien protecteur. Or le rapatriement des tonnes de matériel militaire français aujourd’hui stockées dans le pays risque de se poursuivre jusqu’au premier trimestre 2023. D’ici là, la France et ses partenaires européens qui avaient accepté de s’engager au Sahel, sont littéralement le dos au mur.
Alors que la guerre en Ukraine a fait repartir de plus belle le sentiment anti-occidental dans des pays dirigés par des régimes autoritaires résolus à profiter des prêts chinois et à se payer la protection de centurions russes, les ex-protégés africains de la France et de l’UE ressemblent plus à des bombes prêtes à exploser qu’à des pays en voie d’améliorer leur gouvernance. Et ce, même si les populations rurales et agricoles profitent plutôt de la crise actuelle, vu la hausse des cours des denrées alimentaires non importées.
Bombes sociales, migratoires et islamistes
Bombes sociales, du fait de la paupérisation de populations urbaines pénalisées par l’augmentation du carburant et les pénuries de produits importés. Bombes migratoires, comme l’ont prouvé récemment, au Maroc, les assauts sur l’enclave espagnole de Mellila. Bombes islamistes, puisque le choix des autorités maliennes de se concentrer sur la sécurité de Bamako redonne aux groupes djihadistes le contrôle des territoires d’où l’armée française avait réussi à les chasser. Avec en plus, comme en Guinée-Bissau, voisine du Sénégal, la mainmise progressive des narcotrafiquants sur la société, l’administration et la jeunesse.
Il existe d’autres fronts que celui ouvert par Vladimir Poutine en Ukraine. Malgré son potentiel économique, malgré l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs connectés au reste du monde et malgré ses richesses minérales (des terres rares du Congo à l’uranium du Niger en passant par les diamants de Centrafrique) en grande demande internationale, l’Afrique de 2022 en apporte la preuve inquiétante. Et pour l’heure, personne ne semble capable d’y répondre. À commencer par la France d’Emmanuel Macron.