La mort de mercenaire Evgueni Prigojine était-elle un accident? Rien n'est moins sûr. Des nouvelles révélations indiquent que le décès du chef du groupe Wagner aurait été orchestrée par le Kremlin – par une personne, en particulier.
Le «Wall Street Journal» (WSJ) a publié vendredi des entretiens avec des représentants des services secrets occidentaux, un ancien responsable des services secrets russes ainsi qu'un ancien fonctionnaire du Kremlin qui donnent des nouvelles clés de compréhension à la disparation du mercenaire rebelle.
Selon le rapport publié par le journal, c'est l'ancien espion de Vladimir Poutine Nikolaï Patrouchev qui aurait commandité le meurtre de Prigojine. Le plus proche confident du chef du Kremlin aurait déjà commencé à pointer du doigt l'influence croissante de Prigojine à partir de l'été 2022. A l'époque, Poutine aurait toutefois ignoré ces avertissements, d'autant plus que le groupe Wagner venait de remporter de nombreux succès dans la guerre en Ukraine.
L'ascension de Wagner devient dangereuse
Selon les informations de l'ex-agent des services secrets russes, la situation aurait changé en octobre 2022. Prigojine aurait en effet commencé à déplorer pour la première fois de manière «grossière» un manque de munitions sur le front. Ces propos seraient arrivés aux oreilles de Patrouchev, lequel aurait ensuite tenté de persuader Poutine de se distancer de Prigojine.
Ses arguments? Le patron de Wagner pourrait devenir dangereux au vu de son ascension rapide et, à terme, ne respectera plus l'autorité du Kremlin. Fin 2022, Patrouchev avait déjà gagné la partie. A ce moment-là, Poutine ne prend plus en considération les attaques et les injonctions de Prigojine, allant jusqu'à l'ignorer totalement en public, poursuit le journal américain.
La rébellion de Prigojine a été son coup de grâce
Au printemps 2023, les exigences et l'hostilité de Prigojine à l'égard des dirigeants de l'armée russe se sont renforcées. Début juin 2023, le gouvernement russe annonce vouloir dissoudre le groupe Wagner en tant que force de combat en Ukraine, afin que les combattants puissent rejoindre le ministère de la Défense régulier. Cet épisode efface définitivement la confiance que Prigojine avait en son gouvernement.
La fameuse mutinerie de rébellion du groupe Wagner aura lieu quelques jours plus tard, lorsque Prigojine et ses troupes quittent Rostov-sur-le-Don pour Moscou. Mais alors que les troupes se trouvent à quelque 200 kilomètres de la capitale russe, 38 heures après être partis, Prigojine et ses troupes s'arrêtent. La mutinerie est soudainement avortée. Un accord aurait été trouvé grâce la médiation du dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko avec le gouvernement russe. L'accord stipulait qu'aucune charge criminelle ne serait prononcée à l'encontre d'Evgueni Prigojine et de ses soldats.
Nikolaï Patrouchev en coulisses
Mais un homme se trouvait aux commandes, en coulisses, pendant tout ce temps: Nikolaï Patrouchev. Le secrétaire du Conseil de sécurité aurait organisé une série d'appels téléphoniques pour inciter Prigojine à mettre fin à sa «marche de la justice». Il aurait également eu l'idée d'impliquer Alexandre Loukachenko dans le rôle de médiateur. Avec, pour seul objectif, abattre le plus grand opposant à Poutine en plus de 20 ans de gouvernement. C'est désormais chose faite.
Mais Prigojine savait que sa tentative de coup d'Etat ne serait pas sans conséquences. Pourtant, lorsque, quelques jours plus tard, la procédure pénale contre lui est abandonnée et qu'il est autorisé à quitter le pays pour la Biélorussie, le chef de Wagner se croit finalement enfin en sécurité. Mais son destin était probablement déjà scellé.
Poutine aurait approuvé les plans d'assassinat
La suite est bien connue. L'opération «Eliminer Prigojine» aurait débuté au mois d'août, sous la direction de Nikolaï Patrouchev. Selon des sources des services secrets occidentaux, les plans correspondants auraient aussi été présentés à Poutine. Selon le rapport, ce dernier n'aurait pas émis d'objection à leur encontre.
Le 23 août, Prigojine est à l'aéroport de Moscou. Il ne se doute pas que quelques heures plus tard, il aura perdu la vie. Il attend patiemment que le contrôle de sécurité de son avion soit terminé. C'est précisément à ce moment précis qu'un petit engin explosif aurait été placé sous l'aile.
Prigojine n'arrivera jamais à Saint-Pétersbourg. Environ une demi-heure après son départ de Moscou, son avion privé s'est écrasé dans la région de Tver. Les dix personnes à bord, dont Prigojine lui-même et le fondateur de Wagner Dmitri Outkine, sont décédées.
«Mensonges absolus»
Le Kremlin avait toujours nié en public toute implication dans la mort de Prigojine. Son porte-parole Dmitri Peskov a qualifié de «mensonges absolus» les informations selon lesquelles Poutine aurait donné l'ordre d'assassiner le chef des mercenaires.
En octobre, Poutine a évoqué la mort de Prigojine lors d'une intervention au forum de discussion Waldai. Des éclats d'obus ont été découverts dans les dépouilles des victimes du crash, a-t-il déclaré. Le chef de la commission d'enquête l'avait informé il y a quelques jours de cela que des «fragments de grenades» avaient été retrouvés dans les corps des victimes du crash.
«C'est de la pulp fiction»
Tout en précisant par la même occasion: «Il n'y a pas eu d'action extérieure sur l'avion.» Les membres de Wagner présents à bord se seraient enivrés pendant le vol et auraient ainsi manipulé des grenades réelles, a affirmé Poutine. Les explosifs auraient finalement explosé, provoquant le crash de l'avion.
Même à la suite du rapport publié par le «Wall Street Journal», le Kremlin maintient sa version. «Nous avons vu cet article, mais nous ne souhaitons pas le commenter. Ce genre d'article ne peut guère être commenté d'ailleurs. Le Wall Street Journal aime produire de la pulp fiction», a déclaré le secrétaire de presse du Kremlin Dmitri Peskov.