Les juges du tribunal correctionnel de Paris ont peut-être désigné le successeur d’Emmanuel Macron. En prononçant ce lundi 5 février la relaxe «au bénéfice du doute» du leader centriste de 72 ans, parrain politique majeur du président de la République, les magistrats viennent en effet de bouleverser la donne, à trois ans de la future présidentielle de mai 2027.
Six ans et demi
Depuis six ans et demi, l’actuel maire de Pau (Pyrénées Atlantique) rongeait son frein. En coulisse, il s’activait pour influer sur le chef de l’État. Mais son autorité s’étiolait, au point que ce dernier a choisi, en janvier, de nommer à la tête du gouvernement Gabriel Attal, 34 ans, contre sa recommandation. Bref, François Bayrou était paralysé. Ligoté. Il redoutait d’être condamné, comme viennent de l’être plusieurs députés de son parti Modem, pour avoir ordonné et couvert l’utilisation abusive d’assistants parlementaires européens à des fins de politique nationale entre 2005 et 2017. Bayrou était hors service. Son titre de Haut-commissaire au plan était juste là pour le maintenir politiquement à flot.
A lire aussi sur la France
Changement radical de situation ce lundi 5 février. Bayrou, patron du Modem et principal leader centriste français, peut rêver d’un destin à la Joe Biden, le président américain de neuf ans son aîné. Bayrou a déjà été trois fois candidat à l’élection présidentielle française: en 2002, en 2007 et en 2012. Son ralliement à Emmanuel Macron, en 2017, fut le déclic qui ouvrit la voie de celui-ci pour l’Élysée face à Marine Le Pen.
Favorite des sondages
Ironie des circonstances, la candidate d’extrême-droite, donnée aujourd’hui favorite par les sondages, est accusée des mêmes manipulations électorales et détournements de fonds que François Bayrou. Son parti, le Rassemblement national (ex-FN) est accusé d’avoir, lui aussi, confié des tâches nationales à des assistants au parlement européen, ce qui est interdit. Pire pour Marine Le Pen qui comparaitra devant la justice à l'automne: le montant des fonds présumés détournés est, dans le cas du RN, d’environ six millions d’euros alors que les accusations portées contre le Modem concernaient environ trois cent mille euros. En une décision de justice, et malgré la condamnation des partis Modem et UDF, l’espoir a peut-être changé de camp.
François Bayrou est âgé. L’actuel premier ministre Gabriel Attal pourrait être son petit-fils. Beaucoup de Français ont oublié ce leader centriste qui a tant fâché la droite en affirmant qu’il voterait pour le socialiste François Hollande au second tour en 2012. Bayrou avait alors «tué» Sarkozy. Lui qui n’a jamais réussi à accéder au second tour d’une présidentielle devenait l’arbitre suprême, après avoir flirté avec la qualification en 2007, avec 18,57% des suffrages. Mais que veut dire l’âge, après deux quinquennats d’Emmanuel Macron? Et si les Français optaient pour l’expérience et la probité, car tels seront à coup sûr les arguments de ce politicien béarnais, agrégé de lettres, connu pour fustiger l’endettement public excessif de son pays?
Il redoutait le pire
Le leader centriste redoutait sans doute d’être, lui aussi, condamné. La décision des juges l’exonère non seulement à titre personnel, mais elle fait de lui un leader politique qui a payé d’une partie de sa carrière son engagement à respecter la loi. Ministre de la Justice du premier gouvernement Macron, Bayrou avait démissionné après moins d’un mois parce qu’il était mis en examen. Un exemple. Imaginer qu’il ne va pas, dans ces conditions, tenté d’effectuer un retour au premier plan serait une grave erreur.
La faute reprochée au parti centriste par les juges ne va pas disparaître. Plusieurs députés du Modem, dont un ancien ministre de la justice, le Lyonnais Michel Mercier, ont été condamnés à des peines de prison avec sursis, des amendes et une peine d’inéligibilité. Le parti centriste, fort de 51 députés et composante essentielle de la majorité, reste donc affaibli, même s’il est certain que François Bayrou va maintenant demander des preuves de confiance à Emmanuel Macron, dont il regrette le basculement à droite toute. Cela tombe bien: dans les heures qui viennent, le gouvernement français doit être complété. On peut imaginer que les pro-Bayrou y figureront en bonne place.
Ministre de l’Éducation?
Peut-être que le maire de Pau lui-même reviendra, par exemple, au poste de ministre de l’Éducation nationale qu’il exerça un temps. Sa titulaire, Amélie Oudéa-Castera est très contestée. Mais ce n’est pas un ministère que veut Bayrou. L’homme, considéré comme le «parrain politique» de Macron, a de longue date lié son destin à la France. Il le dit. Il l’a répété. Cela lui vaut beaucoup de critiques sur son ego démesuré. Mais aujourd’hui, le jugement qui aurait pu le noyer vient de se transformer en tremplin inespéré. D’autant qu’il voue toujours une solide inimitié, politique et personnelle, à celui qui, aujourd’hui, parle à l’oreille de Macron: l’ancien président Nicolas Sarkozy.