Ils ont perdu. Ils le disent. Ils le regrettent. Ils sont en colère. Les écologistes français, engagés en politique ou non, sont nombreux à penser qu’Emmanuel Macron a préféré apaiser les agriculteurs en colère plutôt que de tenir ses promesses répétées en matière de transition énergétique: «C’est un abandon qui ne va même pas régler, à long terme, la question du revenu des paysans et des paysannes» affirme la militante écologiste Camille Hachez, interrogée aux côtés de Blick sur la chaîne parlementaire.
Un abandon? Une défaite en tout cas, c’est évident. En cinq actes.
A lire aussi sur la France
Acte 1: la défaite politique
Vous connaissez l’eurodéputé macroniste Pascal Canfin, président de la Commission Environnement du parlement européen. Cet ancien dirigeant des Verts rallié au camp présidentiel porte, à Strasbourg, les couleurs du groupe Renew (famille libérale). Certains le citaient même, voici quelques semaines, comme une tête de liste possible pour les élections européennes du 9 juin 2024.
Or patatras: malgré sa présence dans les médias français pour défendre le «pacte Vert» adopté par les 27 définitivement en mars 2023, Pascal Canfin ne tient plus du tout la corde. Ce bon connaisseur de la place financière suisse, co-créateur de l’ONG Finance Watch en 2011, sait qu’Emmanuel Macron et Gabriel Attal regardent la rue plutôt que le climat. «Avec le Green Deal, l’Europe opère la plus grande transformation économique jamais réalisée» clamait-il en septembre dernier, dans un entretien à La Tribune. Or aujourd’hui, le «Green Deal» – pas encore entré en application dans l’Union – est diabolisé. Dur dur…
Acte 2: la défaite réglementaire
C’est la plus importante. Tout le monde sait que si l’on n’est pas forcé à changer nos comportements destructeurs et pollueurs, la transition écologique sera impossible. Problème: Gabriel Attal a déclaré jeudi 1er février qu’il ne voulait plus entendre parler «d’écologie punitive», ce qu’il avait d’ailleurs déjà dit la veille devant l’Assemblée nationale. L’une de ses premières annonces pour satisfaire les paysans a été la suspension du plan Ecophyto lancé en 2008 avec un objectif clair: réduire de 50% l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, ou pesticides dans un délai de 10 ans.
On sait aussi que la Commission a promis à la France, ce jeudi 1er février, une dérogation sur la norme européenne de mise des sols en jachère. Bref, les paysans les plus consommateurs d’engrais et les plus productifs ont obtenu gain de cause. La question de la viabilité des sols est remisée au second rang, alors que nous vivons sur cette terre contaminée.
Acte 3: la défaite européenne
Les deux défaites précédentes des écologistes conduisent à celle-ci, plus importante encore: celle de la cause «verte» au sein de l’Union européenne. Au parlement de Strasbourg, co-décisionnaire pour la plupart des textes communautaires, compte aujourd’hui 72 eurodéputés réunis dans le groupe Greens-EFA (régionalistes).
Or la colère paysanne, à l’œuvre dans plusieurs pays de l’Union (y compris en Allemagne) est assurée de se répercuter dans les urnes lors des élections du 6 au 9 juin. Partout, les sondages montrent que les intentions de vote en faveur des écologistes sont en baisse. Partout, la question sociale l’emporte sur celle du climat. L’extrême-droite nationale-populiste se frotte les mains, car elle espère profiter, elle, de son ancrage rural.
L’Europe était le levier principal des écologistes, soutenus par d’influents lobbies à Bruxelles. S’ils reculent nettement, le climat en subira les conséquences.
Acte 4: la défaite des prix
Tout l’enjeu de la transition écologique et énergétique consiste à ne pas être trop coûteuse pour les ménages. Lesquels, sinon, entreront inévitablement en rébellion. Or les écologistes, en matière agricole, ne parviennent pas à démontrer que les produits bios deviendront, demain, aussi bon marché que les produits issus d’une agriculture plus intensive.
L’un des trois syndicats agricoles français, la Confédération paysanne (classée à gauche) a d’ailleurs regretté que le plan gouvernemental n’inclût pas d’annonces de soutien financier pour les producteurs qui refusent les pesticides et les engrais. Cette défaite est celle des prix. Elle est décisive. Le risque est en effet grand que les distributeurs agroalimentaires, pour éviter les sanctions, passent des accords avec les paysans afin de soutenir les tarifs. Mais ils subventionneront les produits agro-industriels, sans doute pas les produits bios.
Acte 5: la défaite du calendrier
L’année 2024 avait tout pour être celle d’une ambition réaffirmée de l’Union européenne en matière de changement climatique. Pour l’heure, d’ailleurs, l’UE reste fidèle à son objectif du pacte vert d’en finir avec les émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2050. Problème: on commence quand? 2024, année électorale cruciale, pouvait être ce moment.
Mais la colère des paysans a tout compromis. L’actuelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, veut avant tout être réélue et elle a besoin pour cela du plein soutien de son camp conservateur, celui du PPE (parti populaire européen). L’Allemagne, rappelons-le, a obtenu en mai 2023 une autorisation spéciale de la Commission pour que l’on puisse continuer d’utiliser les moteurs thermiques après 2035 dans l’Union, à condition que ces derniers utilisent des carburants synthétiques. Le détricotage écologique s’est confirmé ces jours-ci, annonciateur de futures tensions, notamment entre générations. Et de radicalisation chez les activistes du climat.