La «start-up nation» vient de prendre un sacré coup de vieux. Et, ironie du sort, c’est un premier ministre de 34 ans qui vient de lui porter le coup de grâce. Confrontés à la colère des paysans, et contraints d’obtenir à la va-vite des concessions de Bruxelles en matière agricole pour empêcher le blocage de Paris par les tracteurs, Emmanuel Macron et Gabriel Attal viennent peut-être de trouver le slogan le plus efficace pour ce second mandat présidentiel tumultueux: l’urgence du «bon sens». Un slogan à des années-lumière de la fascination initiale du chef de l’État pour la transformation numérique et ses avatars des galaxies technologiques. Au pays des «Gaulois réfractaires», remettre les pieds sur terre peut finalement avoir quelques vertus.
«Le bon sens». Cette expression, les paysans perdus dans le labyrinthe des régulations et des normes européennes «surtransposées» par l’administration française (en clair: rendu encore plus compliquées par les bureaucrates tricolores), me l’ont sans cesse répété sur leurs barrages. Ras-le-bol d’une administration perdue dans ses fichiers Excel. Ras-le-bol de contrôles imposés aux petits avec la plus grande fermeté, alors que les grands groupes de distribution agroalimentaires, bardés de conseillers juridiques, contournent les règles en passant d’un pays à l’autre pour y installer leurs centrales d’achats. Ras-le-bol de voir l’aide européenne à l’Ukraine en guerre, légitime, aboutir au déferlement de 300'000 tonnes de poulets industriels sur les étals et dans les cantines de l’hexagone. Le «bon sens». Il suffit de parler de la Suisse aux agriculteurs énervés pour que la formule émerge. «Vous, au moins, vous gardez le sens des réalités», m’ont à chaque fois répété, à Moulins et sur la RCEA qui relie centre de la France à Genève, les exploitants que j’ai rencontrés.
Caméléon présidentiel
Or voilà qu’Emmanuel Macron, en parfait caméléon présidentiel, a saisi l’air du temps. Le président français est une superbe machine politique. Il capte. Il dissèque. Il analyse. Il flaire. Il sait surtout que la fin de sa présidence, jusqu’en 2027, ne sera pas tenable s’il continue de brusquer ses concitoyens, de plus en plus tentés par le Rassemblement national selon les sondages. Il lui fallait juste trouver un Premier ministre qui sache incarner cette révolution de la méthode. Un chef du gouvernement 100% politique, tombé dans la marmite de la communication publique, sans aucune autre contrainte que celle de sa carrière en devenir. Gabriel Attal est celui-là. 34 ans. Aussi à l’aise devant une botte de paille qu’à la tribune de l’Assemblée nationale. Capable d’ingurgiter des dossiers à vitesse grand V, quand son rival du RN, Jordan Bardella, 28 ans, peine à sortir de ses «punchlines» pour les caméras.
Au nom du «bon sens»
Le «bon sens». C’est pourtant simple. Comme «En Marche», le slogan macroniste de 2017 lestée des initiales présidentielles, ces mots-là parlent à tout le monde. Mieux: il permet, en trois mots, de justifier tous les revirements. L’Union européenne a pris des mesures trop complexes, approuvées par les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron? On titre un trait dessus, au nom du «bon sens». Le libre-échange est la valeur cardinale pour ce Chef de l’État mondialisé et anglophone? Oui, ajoute-t-il désormais, mais à condition de respecter le «bon sens». La transition écologique indispensable? Oui, mais si elle est populaire et «de bon sens». Le fourre-tout est parfait. Mais il a l’avantage de correspondre à ce qu’attendent les gens, surtout les classes moyennes excédées, parce que pressurisées par les impôts et l’inflation.
Emmanuel Macron a même osé, en clôture du sommet de Bruxelles, la suprême pirouette politique, en affirmant défendre «en même temps» la souveraineté, la compétitivité et l’ouverture. Le tout, au nom de l’urgence du moment, assurée d'être maintenant servie à toutes les sauces: le «bon sens», évidemment.