Emmanuel Macron a changé. L'année 2022 l’a transformé. La page de son premier mandat est tournée. Il n’est plus aussi jeune. Il n’est plus l’homme de la rupture et de la disruption. Il n’est plus le torpilleur en chef du clivage droite-gauche. Macron-Bonaparte, ce haut fonctionnaire passé par la banque qui avait pris d’assaut le sommet du pouvoir en mode conquête, est devenu cette année un président ordinaire. Le chef d’État d’une France qui ne réussit toujours pas à surmonter ses divisions. Un président presque «normal». Un comble pour celui qui promettait, dans son livre programme de 2017, une «révolution».
2022 rime pourtant avec victoire
2022 rime pourtant avec victoire. Ses adversaires rêvaient de lui faire mordre la poussière. Macron, s’il avait perdu dans les urnes, serait alors devenu un clone de ses prédécesseurs: le «hussard» Nicolas Sarkozy, battu le 6 mai 2012, et le trop «ordinaire» François Hollande, qui préféra cinq ans plus tard ne pas se représenter pour un second mandat, ouvrant la voie de l’Élysée à son ex-collaborateur et ex-ministre de l’Économie.
Or, ce scénario du pire n’a pas eu lieu. À 44 ans (il a fêté son 45e anniversaire ce 21 décembre, comme d'habitude, avec son vieil ami Marc Ferracci, député des Français de Suisse), Emmanuel Macron est entré dans l’histoire comme le premier président français réélu depuis l’instauration du quinquennat, le 2 octobre 2000.
Mieux: il a, pour la seconde fois, terrassé celle qui le défiait à nouveau au second tour: Marine Le Pen. Le score: 58,5% contre 41,5%. Chapeau bas. Et après? Rien, ou presque. Parce que ce président-là n’est plus celui qui, le 15 mai 2017, était entré dans le palais présidentiel entouré de ses «mormons», sa garde rapprochée de conseillers. Ceux qui l’ont fabriqué politiquement. Il est déboussolé. Isolé. Sur la défensive.
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Oui, 2022 a changé Emmanuel Macron
Premier changement: cette année électorale l’a privé de son projet pour la France, puis de sa capacité à le mener à bien en le dépossédant, en juin dernier, d’une majorité absolue de députés à l’Assemblée nationale. En 2017, le macronisme avait un sens et une direction. Il pointait vers l'avenir. Il s’agissait de bousculer ce vieux pays que ce quadragénaire rêvait de transformer en «start-up nation». Il s’agissait, surtout, de ne plus raisonner camp contre camp, gauche contre droite, pour se mettre «En Marche» comme le promettait son parti, dont les initiales reprenaient tout simplement les siennes.
Or, la fin de son premier mandat puis la campagne présidentielle de 2022 ont révélé la vraie nature de cet inspecteur des finances (le gratin de l’ex-École nationale d’administration): Macron est un réformateur libéral de droite, point. Il n’y a pas de mal à ça. Mais la messe politique est dite. La loi du marché l’emporte chez lui sur la solidarité. Ce président si pro-européen est Américain de tempérament. Il veut une société de concurrence, amortie par un filet social. Il croit aux vérités des cabinets de consultants anglo-saxons. La gauche socialiste française est bien trop étatiste pour lui. Il en vient, mais le divorce avec elle est acté. Ce président ébranle l'ordre ancien, mais il ne parvient pas à reconstruire.
Dramatique isolement présidentiel
Deuxième transformation: 2022 a révélé au grand jour son isolement présidentiel. Tout au long de son premier quinquennat, Emmanuel Macron était déjà seul, dépourvu de relais politiques adéquats pour susciter une adhésion massive. L'année 2022 l’a condamné à présider le dos au mur. Plusieurs de ses principaux lieutenants, comme l’ex-ministre Christophe Castaner (désormais à la tête de la société d’exploitation du Tunnel du Mont-Blanc) ou l’ex-président de l’Assemblée Richard Ferrand (conseiller politique officieux à l’Élysée) ont perdu leur siège de député.
Macron est aujourd'hui un sélectionneur sans équipe. Il est Didier Deschamps sans les Bleus. Les deux seules têtes qui dépassent dans le gouvernement sont celles des transfuges de droite de la première heure: Bruno Le Maire (Finances) et Gérald Darmanin (Intérieur). Sa Première ministre, Elisabeth Borne, est une sorte de sélectionneuse adjointe. Une collaboratrice. Elle négocie les votes à l’Assemblée. Ce président-là est condamné à cinq ans de solitude. Il ne joue plus collectif.
Un chef jugé sur ce qu’il fait
Troisième changement: la guerre en Ukraine. Lorsqu’un conflit survient, un chef n’est plus jugé par les belligérants et par ses troupes sur ce qu’il dit, mais sur ce qu’il fait. Mais 2022 a, pour l’heure, donné tort à Emmanuel Macron sur tous les plans. Vladimir Poutine l’entend sans l’écouter. Volodymyr Zelensky ne lui fait pas confiance. L’OTAN, qu’il avait jugée en état de «mort cérébrale en 2019», a de nouveau le cerveau bien irrigué puisque son cœur, à Washington, bat la mesure de l'Occident.
Sur le fond, Macron n’a peut-être pas tort. Il rêve d’une France, «puissance d’équilibre». Soit. Mais 2022 a montré qu’il n’y a guère, dans le monde, d’audience pour cette cause. Ce président qui adore monologuer est aujourd'hui presque inaudible.
Tout cela n’est qu’un arrêt sur image en cette fin d'année. Ce n’est pas un verdict. Le dossier Macron est encore à l’instruction. Macron est transformé. Il n'est pas fini. Sauf qu’un autre changement, plus profond, est survenu en 2022. Le plus jeune président de l’histoire contemporaine de la République a renoncé à réformer la France. Le 10 janvier, sa réforme des retraites – dont on ne connaît toujours pas les contours – sera présentée. Ensuite? Rien à l’horizon. Pas de réforme structurelle annoncée. Le bunker élyséen se concentre sur la contre-offensive sociale.
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Voilà ce qui a changé profondément en 2022. Hier, ce passionné de football qu’est Emmanuel Macron était un avant-centre, voire un ailier. Il jouait pour le but. Il marquait. Aujourd’hui, le président évolue en défense. Il verrouille. Il tacle. Il pousse ses adversaires à la faute. Problème: la politique n’est pas le football. Le match nul n’existe pas. On perd, ou on gagne. Comme en phase finale du Mondial.
En 2022, ce président qui rêvait de faire triompher la France est désormais celui qui veut d’abord éviter de terminer son second mandat sur une défaite. Le fait de ne pas pouvoir se représenter en 2027 pourrait, en théorie, lui donner des ailes et le libérer. C'est le contraire. Le voici ligoté. Empêché. Or son nouveau match vient tout juste de commencer. Et il doit durer cinq ans.