C’est l’article de la Constitution française le plus commenté. Une sorte d’arme nucléaire de la politique française. Une fois invoqué, il permet au gouvernement de faire adopter un projet de loi sans vote, en engageant sa responsabilité et en obligeant l’opposition à déposer une motion de censure. Emmanuel Macron et sa Première ministre, Élisabeth Borne, viennent de décider d’y recourir pour faire passer leur projet de budget 2023. Preuve que dans l’Hexagone, la culture du compromis fait toujours défaut.
Le président le dos au mur
Voilà donc le président de la République française le dos au mur. A priori, le projet de loi de finances et le projet de budget de la sécurité sociale 2023 devraient au bout du compte passer la rampe d’une Assemblée nationale sans majorité absolue, après l’inévitable détour par le Sénat. Mais en décidant de passer en force, et même s’il semble assuré de surmonter la semaine prochaine les motions de censure déposées par le Rassemblement national et la NUPES (la coalition de gauche), Emmanuel Macron ne peut qu’être déçu.
Aucun député de droite n’a, pour l’heure, accepter de faire dissidence et de se rallier. Idem, du côté des quelques socialistes hostiles aux postures radicales du leader de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon. 37 députés manquent toujours à l’appel pour disposer des 289 sièges sur 577 indispensables pour gouverner. Impossible, dans ces conditions, d’envisager des réformes structurelles comme celles, annoncées, de l’assurance chômage et des systèmes de retraite.
Une France gouvernable malgré ses fractures?
Le 49.3 est un pari: celui d’une France gouvernable malgré ses fractures parlementaires, et en dépit de la colère sociale qui gronde. Emmanuel Macron veut y croire, et son entourage ne cesse de distiller des compliments sur sa Première ministre, issue de la gauche et réputée particulièrement tenace dans l’épreuve. Problème: rien ne démontre que ce calcul peut tenir le temps du quinquennat.
Cet article «nucléaire» de la constitution, destiné à permettre à l’exécutif de l’emporter, ne peut en effet être appliqué qu’une fois par session parlementaire hors débat budgétaire. Plus grave pour le chef de l’Etat Français, rien ne dit qu’à l’avenir, les oppositions aujourd’hui éclatées et divisées ne se rejoindront pas. La droite traditionnelle, avec son groupe charnière de 62 élus, pourrait aussi basculer. «Macron gagne du temps avec ce budget. Il ne gouverne pas. Il administre. Nous n’avons plus de vision», admet un député de la majorité.
Objectif: montrer à l’opinion que le pays est gouverné
Le refrain, du côté du palais présidentiel de l’Elysée, est aux antipodes. Alors que le président Français sera, ce jeudi et vendredi au sommet européen à Bruxelles, ses conseillers estiment que l’opinion publique est beaucoup moins «hystérisée» que la classe politique. Selon ces derniers, l’idée que le projet de budget 2023 – assorti d’une cinquantaine d’amendements parlementaires – va être adopté «va donc soulager le pays, qui ne veut pas du chaos en pleine guerre en Ukraine et à la veille de l’hiver».
Les objectifs budgétaires français pour 2023 restent toujours inchangés: un déficit de 4,7% du produit intérieur brut (PIB l’année prochaine, environ 350 milliards d’euros de dépenses publiques, un endettement record de 270 milliards d’euros supplémentaires (dans un pays où la dette publique atteint désormais 113% du PIB, à 2902 milliards d’euros). L’un des amendements ajoutés le plus significatif est la proposition d’une «contribution temporaire de solidarité» sur l’exercice 2022-2023, imposée aux entreprises qui réalisent au moins 75% de leur chiffre d’affaires dans les «secteurs de l’extraction, de l’exploitation minière et du raffinage du pétrole».
Reste une évidence: le 49.3 peut faire des miracles politiques en tuant le débat. Il ne peut pas en revanche gommer le fait que la France fracturée dans les urnes est aussi, sur le plan économique, une France de plus en plus fragilisée.