Qui peut sortir la France de l’impasse sociale dans laquelle elle se trouve, face au mur de contestation de la réforme des retraites? Quelque 58% des Français souhaitent que les organisations syndicales continuent à appeler à la mobilisation, alors qu’une onzième journée d’action et de grève a lieu ce jeudi 6 avril.
Près d’un Français sur cinq approuve le fait que certains aient recours à la violence. Tels sont les résultats de la nouvelle enquête de l’Observatoire de la mobilisation contre la réforme des retraites 2023 de l’institut Harris Interactive.
Entre les syndicats et Elisabeth Borne, rien ne va plus
Ces chiffres sont sortis pile au moment où la Première ministre Elisabeth Borne voyait les syndicats lui tourner le dos mercredi, après moins d’une heure de rencontre. L’impasse: le mot est juste, car l’on ne voit pas de sortie.
L’exécutif s’y était d’ailleurs préparé, avec un communiqué prérédigé, lu devant les caméras par une première ministre résolue à ne rien céder sur les retraites. Et après? Trois quarts des Français, selon l’enquête d’Harris Interactive, perçoivent la reprise des discussions entre les partenaires sociaux et le gouvernement comme une bonne chose. Mais ils sont 62% à estimer que ces pourparlers ne vont rien changer. Une autoroute pour la confrontation.
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Qui détient, dès lors, les leviers pour faire baisser la tension sociale ambiante? Dans un pays centralisé comme la France, où tout remonte au président de la République, la réponse serait, en temps normal, Emmanuel Macron.
Mais dans le cas de cette réforme des retraites que le chef d'Etat a encore défendue lors de son intervention télévisée du 22 mars, l’on voit mal le locataire de l’Elysée réussir à ramener le calme dans le pays. Sa cote de popularité est aujourd’hui au plus bas, similaire au creux de la crise des «gilets jaunes» durant l’hiver 2018-2019.
Le dossier des retraites? Un totem présidentiel
Pire: Emmanuel Macron, qui est cette semaine en visite d’Etat en Chine avec une cohorte de grands patrons, est lui-même le problème. Il a fait du dossier des retraites un totem de son second mandat.
Il est vrai qu’il avait annoncé cette réforme dans son programme présidentiel, avant sa réélection en avril 2022. Sauf que sa cohérence, sur le sujet, fait cruellement défaut.
À l’origine, durant son premier quinquennat, le président défendait une réforme structurelle qui ne se contente pas de repousser l’âge légal de départ. Il a finalement opté pour la solution contraire, et mis le curseur à 64 ans (contre 62 ans actuellement) sans convaincre l’opinion du bien-fondé de cette décision, prise de surcroît en pleine crise du pouvoir d’achat.
Les syndicats sont le dos au mur
Qui alors? Les syndicats sont le dos au mur. Ils sont unis, ce qui est très important. La CGT, le syndicat d’ordinaire le plus jusqu’au-boutiste, vient d’élire une nouvelle secrétaire générale de 41 ans, Sophie Binet.
Ils comptabilisent onze journées d’action. Mais gare: au moins deux se sont soldées par des violences urbaines. «Du haut de quelle représentativité parlent ces syndicats pour entretenir pareil climat insurrectionnel?», tonnait déjà, mercredi, le quotidien conservateur «Le Figaro».
La réalité est qu’après tant d’efforts, la CGT, comme la CFDT et leurs six autres partenaires, ne peuvent pas céder sans obtenir de concessions. Pour eux, le curseur des 64 ans est essentiel. Ils veulent son abandon, ou bien la «mise en pause» du projet de loi adopté sans vote le 16 mars par l’Assemblée nationale, après la décision de la première ministre de recourir à l’article 49.3 de la Constitution.
Les syndicats peuvent faire retomber la colère. Ils ont su, jusque-là, la canaliser. Mais celle-ci les dépasse, et ils ne peuvent rien faire face au délitement du climat politique, lié à l’absence de majorité présidentielle à l’assemblée. Ils peuvent calmer le jeu. Mais ce ne sont pas eux qui peuvent désamorcer la crise.
Le levier du Conseil Constitutionnel
Un autre levier est dans les mains des neuf juges du Conseil constitutionnel, présidé par l’ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius. Cette instance a été saisie par la première ministre pour examiner le projet de loi sur la réforme des retraites, dès son adoption sans vote.
Le conseil rendra son avis le 14 avril. Il s’exprimera aussi sur la motion présentée par 250 députés de gauche pour un référendum d’initiative partagée. Si celle-ci est validée, une campagne de collecte de signatures démarrera. Il faudra qu’au moins 4,8 millions de Français signent cette demande de référendum.
Avant de se tourner vers le peuple, le parlement pourra à nouveau débattre du projet de loi sur les retraites. Bref, la montre va continuer de tourner et l’horloge sociale française continuera d’être déréglée pendant un bon moment. Le seul scénario où la crise trouverait un épilogue temporaire serait le rejet complet du texte de loi par le Conseil constitutionnel le 14 avril. Tout repartirait alors de zéro et les oppositions crieraient victoire. Mais c’est très peu probable.
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Qui, pour sortir de la crise? La question planera ce jeudi au-dessus des défilés et des centaines de milliers de manifestants qui battront à nouveau le pavé, à la veille du week-end de Pâques, pour dire non à cette réforme.
Une question d’autant plus empoisonnée que la raison de l’empressement d’Emmanuel Macron à imposer les 64 ans tient très largement aux tensions sur les marchés financiers, comme l’a reconnu le commissaire européen Thierry Breton.
On voit l’étreinte douloureuse et inquiétante dans laquelle se trouve aujourd’hui la France. D’un côté, la colère sociale et la garantie de difficultés politiques à venir durant les quatre prochaines années de présidence Macron alimentent la défiance et l’inquiétude. De l’autre, l’abandon de la réforme engendrerait le doute sur la capacité du pays à se réformer. Sortie de crise? La France de ce printemps 2023 apparaît plutôt coincée entre le marteau social et l’enclume financière.