Les colères françaises? Emmanuel Macron a décidé de ne pas les éteindre. Pas un mot, durant son intervention télévisée très attendue de ce mercredi 22 mars, sur les amoncellements d’ordures, les brasiers et les barricades qui, chaque soir, scandent ces jours-ci la vie des grandes métropoles, à commencer par Paris.
«La violence sans règles, ce n’est pas la République», a tranché d’emblée le président français avant d’adresser un triple non aux opposants à la réforme des retraites, désormais soumise au Conseil constitutionnel. Non à la demande de retirer le projet de loi controversé, ou de le mettre au moins en mode pause. Non à la demande de limoger la Première ministre Élisabeth Borne. Non, enfin, à un acte politique majeur comme la dissolution de l’Assemblée nationale ou l’organisation d’un référendum. Le verbe plusieurs fois répété par Emmanuel Macron est «avancer». Une volonté réaffirmée comme un défi, et un fardeau assuré pour les forces de police.
Marcon, le réaliste
Ces colères, le président a d’ailleurs choisi de ne pas s’appesantir dessus. Seul moment consacré à ces éruptions qui voient, chaque soir, des groupes de manifestants masqués s’en prendre aux bâtiments publics, aux permanences d’élus, ou renverser les poubelles dans les villes: une tirade pour mettre en garde contre «les factieux et les factions». Et d’illustrer son propos par une allusion à l’assaut des militants pro-Trump contre le Capitole à Washington, le 6 janvier 2021, et une autre au déferlement populaire sur la place des Trois pouvoirs à Brasília, le 9 janvier 2023. Le raisonnement est simple: ces groupes ne sont pas l’expression d’une quelconque volonté populaire. À l’inverse des syndicats qui, eux, «ont une légitimité quand ils manifestent». De quoi, tout de même, éviter de chauffer à blanc le mouvement social, avant la neuvième journée de mobilisation et de grève ce jeudi 23 mars.
Circulez, il n’y a rien à voir? C’est un peu ça. D’autant qu’Emmanuel Macron a renversé les rôles. Non, il n’est pas le méchant du feuilleton des retraites. Il est le réaliste. Celui qui s’emploie à «gagner la bataille du plein-emploi et de la réindustrialisation», face «à toutes les oppositions rassemblées autour d’une formule magique: le déficit». Le président le dit: il n’aime pas faire cette réforme. Il aurait préféré ne pas la faire. Mais il le doit. «On veut s’abstraire du principe de réalité», a-t-il déploré, oublieux de redire qu’une bonne partie du problème réside dans le «quoiqu’il en coûte» budgétaire pratiqué durant la pandémie de Covid-19. Le terme, pourtant symbolique de la fin de son premier quinquennat, n’a même pas été employé.
Place aux bonnes nouvelles comme la baisse du chômage. Place à de nouvelles promesses sur une possible cotisation extraordinaire des grandes entreprises pour financer les retraites, ou sur une grande concertation nationale sur le travail (ce que demande le syndicat réformiste CFDT). «Je veux réengager avec les partenaires sociaux. Pas de grandes discussions et de grand-messe. Il faut réfléchir au sens du travail.» Paroles, paroles…
Pari tenable?
Le pari est pris. Et l’on saura très vite s’il est tenable. Celui d’un retour rapide à «l’ordre républicain», érigé en pilier de ce mandat présidentiel. Comme si la violence sociale de ces dernières semaines allait s’évaporer. Comme s’il était possible de trouver une majorité, autour des prochains textes de lois, avec la majeure partie des élus de droite qui ont refusé de s’associer à la motion de censure. «Nous n’avons pas le droit à l’arrêt et à l’immobilisme», a asséné Emmanuel Macron, avant d’ajouter: «On va continuer la marche forcée. J’ai le sens de la démocratie et du mandat.»
La pédagogie reste lacunaire. Aucune référence par exemple au risque de décrochage financier de la France dont la dette publique approche les 3000 milliards d’euros. Aucune mention des marchés financiers qui guettent à juste titre le pays. Juste un graphique de comparaison avec les voisins européens.
Emmanuel Macron, on s’en souvient, avait déclaré, bravache, «qu’ils viennent me chercher» lors de l’affaire Benalla (son ancien collaborateur pris en flagrant délit de mettre un manifestant à terre) en juillet 2018. Cinq ans plus tard, les mots ne sont pas prononcés. Mais la tonalité est la même. «Je ne vis pas de regrets, mais de volonté et de ténacité», a-t-il conclu à la télévision. Le bras de fer avec ses opposants les plus virulents est loin, très loin d’être achevé. Quoiqu’il en coûte pour le pays.