Cette date-là est-elle l’iceberg sur lequel va se fracasser le Titanic européen? 2030, année de l’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne - qui deviendrait le 28e pays-membre, avant les pays des Balkans occidentaux les mieux placés (Albanie, Monténégro, Macédoine du Nord) - est-elle l'année de tous les dangers ?
Aucun doute pour les droites nationales-populistes européennes: l'arrivée imminente de l'Ukraine est la bombe nucléaire politique assurée de faire exploser l’UE. Or le sujet pourrait bien faire partie des négociations qui s’enclencheront, sitôt qu’un cessez-le-feu de trente jours entrera en vigueur.
L’offensive Von der Leyen
Celle qui s’est le plus engagée sur cette marche forcée de l’Ukraine vers l’Union européenne est la Présidente allemande de la Commission. A Kiev le 24 février, pour le troisième anniversaire de l’agression Russe, Ursula von der Leyen l’a redit: «J’apprécie vraiment la volonté politique à l’oeuvre. Je dirais même que si l’Ukraine continue à ce rythme et à ce niveau de qualité, elle pourrait (intégrer l’UE) avant 2030». 2030, c’est-à-dire demain. Soit sept ans après l’acceptation de sa candidature par les 27, en décembre 2023. Ce qui ferait de l’Ukraine, pays divisé et en guerre, le membre de l’Union admis le plus rapidement dans l’histoire de l’intégration communautaire.
Pourquoi reparler de ce calendrier? Parce que l’entrée de l’Ukraine dans l’UE, contrairement à l’OTAN, n’est pas un sujet tabou pour la Russie de Vladimir Poutine. Et parce que l’horizon politique naturel du pays est évidemment européen. La preuve? Les négociations en cours entre Bruxelles et Kiev vont vite, très vite. «Les Ukrainiens sont très rapides dans la mise en œuvre de l’acquis communautaire (le droit européen) confirme un diplomate basé dans la capitale ukrainienne. Ils le font avec succès.»
Mélange des genres
Attention toutefois au mélange des genres: «Cette histoire de dates est dangereuse», poursuit notre interlocuteur. Le pire serait de considérer l’entrée dans l’UE sous le seul angle de la garantie de sécurité pour l’Ukraine. Il est vrai que le traité européen prévoit «qu’en cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies».
Or l’enjeu de l’intégration est bien plus large. Cela pose la question de la future intégration économique du pays dans le grand marché, de la concurrence de ses travailleurs, du défi engendré par son agriculture céréalière intensive.
Résultat: à l’Assemblée nationale française, Marine Le Pen a répété, lors du débat mercredi 11 mars d’une résolution présentée par le groupe indépendant LIOT sur le conflit, «qu’elle ne souhaite pas cette adhésion». Idem pour la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon, qui y était autrefois favorable. Le premier ministre Hongrois Viktor Orbán, toujours soucieux de ménager Poutine, y est lui ouvertement hostile.
Intégration à la carte
Une autre proposition est donc aujourd’hui sur la table: permettre, en 2030, une intégration «à la carte» de l’Ukraine dans les politiques communautaires. L’eurodéputé belge Guy Verhofstadt, fédéraliste convaincu, a pour cela un mode d’emploi: 1. Entrée immédiate de l’Ukraine dans l’UE (avec des secteurs comme l’agriculture exclus pour le moment) 2. Lancement d’une Communauté européenne de défense (CED), y compris l’armée ukrainienne. 3. Utiliser les actifs russes saisis – environ 230 milliards d’euros – pour soutenir et renforcer l’Ukraine (sur le plan militaire et budgétaire).
Sur les conditions d’accès à l’Union européenne, deux précédents sont éloquents pour l’Ukraine. Le premier est le cas de l’Allemagne fédérale, membre fondateur de la Communauté européenne alors qu’elle était divisée entre l’est et l’ouest. Le second est celui de Chypre, intégrée en 2004 alors que les deux parties de l’île, grecque et turque, demeurent formellement en conflit. «Dès lors que son adhésion à l’UE fera partie du paquet de négociations avec la Russie, tout devient possible» complète notre diplomate.
D’autant que les Ukrainiens soignent ces temps-ci leur communication: «Ils nous disent que leur agriculture sera dans l’avenir, avant tout tournée vers les marchés émergents. Ils savent que leurs normes écologiques posent problème et ne sont pas acceptables dans l’UE». Sauf qu’entre les mots et les faits… «Poutine pense que l’Ukraine sera un boulet pour l’Union européenne», complète l’ancien sénateur français Jean-Yves Leconte. «Il faut se méfier d’une adhésion manipulée, instrumentalisée.»
Libre circulation
La date de 2030 pose aussi un problème parce que d’ici là, la politique ukrainienne peut complètement changer si un nouveau président et un nouveau gouvernement élus arrivent aux affaires. Leur priorité sera-t-elle la lutte contre la corruption? L’État de droit?
«Disons-le clair et net: cette date n’a aucun sens poursuit notre diplomate. En faire une référence est très, très dangereux sur le plan politique dans nos pays. Convaincre nos peuples d’investir pour la défense de l’Ukraine est déjà compliqué. Leur dire que les Ukrainiens profiteront demain des fonds de cohésion et de la libre circulation des personnes et juste impossible.»