Ponctionner l’argent russe sans confisquer les avoirs russes. Tel est l’objectif de la Commission européenne qui devrait soumettre son plan d’action financier anti-Poutine ce jeudi 21 mars, en ouverture du sommet européen à Bruxelles.
Pas question de s’approprier les capitaux, biens immobiliers ou autres yachts des oligarques ou de la banque centrale de Russie. Aucune règle de droit ne le permet, puisque les entités ou individus sous sanctions n’ont pas commis de délit de droit commun (contrairement aux trafiquants de drogue par exemple). Pas question non plus de faire main basse sur les avoirs des institutions russes, car cela pourrait déclencher une guerre financière contre les avoirs des institutions européennes à travers le monde.
L’objectif est désormais de rafler les intérêts de ces capitaux qui, gelés et immobilisés, continuent de fructifier. Soit pour financer la facilité de paix européenne utilisée pour acheter des armes données à l’Ukraine. Soit pour être versé au budget de l’UE et être ensuite redonné à l’Ukraine. L'Union s'est fixé pour objectif de faire parvenir l'argent à l'Ukraine d'ici au mois de juillet.
Une proposition sur les rails
Le Conseil européen (l’instance qui représente les Chefs d’État ou de gouvernement des 27 pays membres de l’UE) a demandé depuis plusieurs mois à la Commission de préparer un plan d’action en ce sens. L’affaire a pris plus de temps que prévu. Mais la proposition est maintenant sur les rails. Il s’agit d’utiliser les recettes des avoirs russes pour aider l’Ukraine.
La Commission propose ainsi de lever une contribution sur les intérêts perçus par ces capitaux, depuis le gel. Si approbation il y a, le premier transfert aurait lieu dès juillet 2024. Puis deux fois par an. «Nous proposons donc un système qui comporterait des flexibilités pour répondre à ces besoins: allocation des 90% de ces fonds à la facilité pour la paix (pour aider militairement) et 10% pour le budget de l’Union, puis reversé à l’Ukraine» explique-t-on à Bruxelles. Le texte mentionne également l'utilisation des fonds pour moderniser l'industrie de la défense ukrainienne.
Les premiers avoirs russes concernés par cette mesure seront ceux de la Banque centrale de Russie déposés dans les banques centrales des pays de l’Union européenne, soit 210 milliards d’euros. Motif: l’État russe n’a aucun droit sur ces recettes, et la probabilité d’une rétorsion juridique est très faible. 97% des recettes nettes seront reversées. On parle de 2.5 à 3 milliards d’euros à la fin 2024.
Que les pays membres de l’UE
Pour l’heure, cette mesure ne concernera que les pays membres de l’UE. La Suisse, où environ sept milliards de francs d’avoirs russes sont gelés, ne sera concernée que si le Conseil fédéral décide de s’aligner sur les mesures prises par le Conseil européen, comme il l’a fait jusque-là pour les 13 paquets de sanctions communautaires. Il est probable que d’autres pays du G7, comme le Japon ou le Canada, s’aligneront sur ces positions. Les États-Unis continuent pour leur part de réfléchir à une option financière beaucoup plus discutable: la saisie (confiscation pure et simple) des avoirs russes, après décision de justice.
Attention toutefois: un veto n'est pas exclure lors du sommet de Bruxelles qui s'ouvre dans l'après-midi et s'achèvera vendredi. Des pays comme la Hongrie et la Slovaquie craignent que l'achat d'armes ne contribue à ce qu'ils considèrent comme une escalade militaire en Ukraine, tandis que d'autres, comme Malte et l'Irlande, ne sont pas autorisés à acheter des armes létales pour des pays étrangers en vertu de leur politique de neutralité vieille de plusieurs décennies.
Stabilité de l'euro
Autre considération: les conséquences de cette mesure sur l’euro, compte tenu du signal envoyé par cette mesure financière inédite aux États ou institutions ayant des dépôts en Europe? La réponse entendue à la Commission européenne ce mercredi 20 mars se veut rassurante: «C’est sans précédent, certes, parce que nous sommes confrontées pour la première fois à ce cas. Cela a créé une accumulation des fonds. Ce qui est nouveau c’est l’immobilisation des actifs. Nous ne pensons pas qu’il y aura des conséquences sur la stabilité de l’euro».
Pour éviter toute contestation juridique, la proposition de la Commission ne concerne que les produits dérivés des actifs après le 15 février 2024. Les bénéfices de 2022 et 2023 engendrés par les avoirs russes gelés seront conservés par Euroclear, le dépositaire de titres basé en Belgique.