Personne n’arrive encore à y croire. Et surtout pas Volodymyr Zelensky, le président Ukrainien dont le pays encaisse ces jours-ci les coups de boutoirs redoutables d’une armée russe à la fois supérieure en nombre, et bien mieux dotée du point de vue des stocks de munitions.
Ce mardi 5 mars à Bruxelles, Thierry Breton l'a pourtant affirmé: si elle se met en ordre de marche, l’industrie de défense européenne peut faire, elle aussi, le pas vers une économie de guerre. Il faut pour cela que les 27 pays membres de l’UE s’entendent sur une stratégie commune, et que leurs industriels suivent. Tel est le but des propositions législatives qui vont être avancées. Conséquence: les pays tiers, comme la Suisse, se trouveront logiquement marginalisés, surtout si leur neutralité impose des restrictions aux exportations d’armes et de munitions indispensables pour atteindre les 2% du produit intérieur brut consacré à la défense, comme le prescrit l’OTAN, l’Alliance atlantique dominée par les États-Unis.
Pour produire davantage d’armes, de bombes et de munitions sur le sol de l’Union européenne, l’important est d’abord de renoncer à dépenser en priorité des centaines de milliards d’euros pour acheter «sur étagère» du matériel d’autres puissances, comme les États-Unis. Dans le détail, la Commission propose que d’ici 2030, 50 % des équipements militaires commandés par les Etats membres soient fournis par l’industrie européenne, alors que 68 % des achats d’armement réalisés dans l’UE au profit de l’Ukraine se font auprès de fabricants américains.
La base financière existe: les pays de l’UE ont en effet dépensé 58 milliards d’euros en 2023 pour acquérir des armes. Bruxelles suggère en plus d’utiliser les revenus générés par les 200 milliards d'euros d'avoirs russes gelés en Europe «L’objectif de cette stratégie est de faire de l’UE un acteur de la sécurité et de la défense à part entière» note le plan européen. «Il s’agit de renforcer d’urgence la coopération et la coordination entre pays membres pour s’assurer que nos industries sont à la fois innovantes et compétitives», poursuit le texte.
En clair: seule une production à l’échelle européenne peut permettre de faire face au défi posé par Vladimir Poutine sans accroître la dépendance transatlantique. Et ce, d’autant plus que «tous les types d’équipements et d’armes indispensables sont aujourd’hui produits en Europe» note le document de travail de la Commission européenne.
Dépenser plus, dépenser ensemble
Trois priorités pour cela: Dépenser plus, dépenser ensemble, dépenser là où les besoins les plus urgents se font sentir. Plusieurs secteurs vont être classés comme prioritaires: les missiles, les obus de calibre 155 (calibre Otan) et l’artillerie, très demandée par l’Ukraine. La Commission européenne va proposer la création d’une version européenne du programme américain de ventes militaires à l’étranger, dans le cadre duquel les États-Unis aident d’autres gouvernements à s’approvisionner auprès d’entreprises d’armement américaines.
Pour résumer: des subventions et des facilités de paiement seront accordées aux pays qui s’arment «Made in Europe». Une autre proposition permettrait à l’UE d’obliger les entreprises d’armement européennes à donner la priorité aux commandes européennes en temps de crise.
Un fond de 100 milliards d'euros
Le programme de M. Breton devrait inclure quelque 1,5 milliard d’euros (1,63 milliard de dollars) d’argent frais jusqu’à la fin de l’année 2027, une somme modeste dans le monde des achats de défense à grande échelle. Ils s’ajouteront aux 8 milliards du Fonds européen pour la défense. Ce n’est bien sûr pas suffisant et Thierry Breton, dont le mandat s’achève à la fin 2024 comme tous les commissaires européens, propose un fonds européen spécial de 100 milliards d’euros pour les projets de défense. Certains pays européens y sont favorables, mais d’autres comme l’Allemagne sont beaucoup plus réticents.
Des armes à l'Ukraine, mais quand ?
Point important: l’Ukraine pourrait prendre part aux nouveaux programmes proposés pour renforcer les capacités communes d’achat et de production. «Notre mission consiste à traiter l’Ukraine comme s’il s’agissait d’un État membre» a déclaré un fonctionnaire à l’agence Reuters, sous le couvert de l’anonymat, avant le lancement du paquet.
L’été des F16
La Commission européenne affirme aujourd’hui que la promesse de livrer 1 million d’obus à l’armée ukrainienne pour 2024 pourra être tenue. Le chiffre avancé pour le printemps est de 500'000. La question du moment porte sur les missiles longue portée allemands Taurus, produit par le Suédois Saab, que Berlin refuse d’exporter vers l’Ukraine.
Un basculement sur le terrain militaire pourrait avoir lieu à l’été, prédisent les experts, avec l’arrivée dans le ciel ukrainien d’une trentaine de chasseurs F16 donnés notamment par les Pays-Bas et le Danemark.