Faire la guerre. Ces mots que la plupart des Européens avaient oubliés constituent maintenant la priorité industrielle du continent entier. Mercredi 3 mai à Bruxelles, le Commissaire européen chargé de l’industrie de défense, Thierry Breton, a présenté un plan destiné à fournir à l’Ukraine un million d’obus d’ici à un an. Première somme mise sur la table pour doper cette production industrielle: 500 millions d’euros.
Retrouvez l’intervention de Thierry Breton à Bruxelles:
L’objectif est directement lié aux besoins de Kiev: produire un million de projectiles destinés à tuer, à détruire, à transpercer les blindages et à démontrer à l’armée russe qu’elle ne remportera jamais la victoire malgré la pluie de tirs d’artillerie qu’elle fait subir chaque jour aux Ukrainiens. «J’ai visité presque toutes les usines d’armement européennes. Quand je vois les ouvriers (souvent des ouvrières) confectionner les obus et les charges explosives, je réalise dans quel monde nous sommes: celui de la peur et de la douleur», expliquait ces jours-ci Thierry Breton, lors d’une rencontre à Paris avec des journalistes européens.
Nouvelle ligne d'horizon
La guerre. On ne la voit pas seulement sur les écrans. Elle se fait. Elle se prépare. Elle est la nouvelle ligne d’horizon des usines sidérurgiques d’Europe.
Sur l'Europe et l'Ukraine
Les usines, justement. Hier dirigeant de l’entreprise technologique Atos, autrefois ministre des Finances, ex-romancier à succès, Thierry Breton arpente aujourd’hui les lignes de production les plus terrifiantes qui soient. «J’ai fait un tour de tous les sites industriels dans les onze pays de l’Union européenne capables de produire en masse des obus de 155 mm (calibre OTAN) et 152 mm (calibre de l’ex-Union soviétique). J’ai décidé d’aller voir tous ces sites pour vérifier leurs capacités. On a maintenant une vision claire», a-t-il expliqué lors de la conférence de presse hebdomadaire de la Commission. Et d’ajouter: «Nous devons passer en mode économie de guerre.»
Munitions et missiles
Pour y parvenir, l’Exécutif communautaire a décidé de concentrer l’effort industriel sur les munitions et les missiles. La base de son action? Le rapport de la «task force conjointe d’acquisition de défense créée par la Commission, le Service européen pour l’action extérieure et l’Agence européenne de défense». Selon celle-ci: «La consultation des fabricants européens de munitions a mis en évidence des goulets d’étranglement concrets dans les chaînes d’approvisionnement et des pénuries auxquelles il faut remédier si l’on veut atteindre les niveaux de production requis.»
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Résultat? Un règlement européen (d’application immédiate) va être proposé. Il contient des mesures concrètes visant à soutenir le renforcement industriel tout au long des chaînes d’approvisionnement liées à la production de munitions et de missiles dans l’UE. Des subventions seront allouées aux industriels pour «optimiser, étendre, moderniser, mettre à niveau ou réaffecter les capacités de production existantes, […] renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement, […] tester ou reconditionner les processus afin de rendre les munitions et les missiles utilisables par les utilisateurs finaux.» Les entreprises de l’Union impliquées dans la production de munitions et de missiles seront aussi soutenues par un «fonds de montée en puissance».
L'appel de Zelensky
Depuis l'appel lancé le 9 février par le président Volodymyr Zelensky, les pays de l'UE ont fourni à l'Ukraine près de 40'000 obus et plus d'un millier de missiles pour leurs armes de défense anti-aérienne et anti-chars. Ces données ne reflètent pas la réalité des fournitures couvertes par le secret défense. Une enveloppe d'un milliard d'euros est prévue pour rembourser une partie des munitions prélevées par les Etats membres dans leurs arsenaux. Une seconde enveloppe d'un milliard d'euros sera utilisée pour co-financer des achats communs d'obus de 155 mm destinés à l'Ukraine. Les commandes seront passées en septembre aux industriels dont la production est réalisée dans l'UE et en Norvège.
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Ursula von der Leyen au créneau
La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, affiche sa volonté combattante: «L’Ukraine résiste héroïquement à l’envahisseur russe brutal. Nous tenons notre promesse de soutenir l’Ukraine et son peuple, aussi longtemps qu’il le faudra. Mais les courageux soldats ukrainiens ont besoin d’un équipement militaire suffisant pour défendre leur pays. L’Europe intensifie son soutien sur trois fronts. Premièrement, les États membres fournissent des munitions supplémentaires à partir de leurs stocks existants, avec un nouveau soutien d’un milliard d’euros au titre de la facilité européenne de soutien à la paix. Deuxièmement, avec les États membres, nous achèterons conjointement davantage de munitions pour l’Ukraine – et nous débloquons un milliard d’euros supplémentaires à cet effet. Et aujourd’hui, nous agissons sur la troisième voie. […] En collaboration avec les États membres, nous mobiliserons un milliard d’euros supplémentaires pour accroître les capacités dans toute l’Europe.»
La neutralité suisse et autrichienne bousculée
Conclusion terrifiante, assurée de mettre à l’épreuve la neutralité de pays comme la Suisse et l’Autriche, dont les industries d’armement ont des ramifications européennes. Il s’agit, pour Ursula von der Leyen, d’un «élément essentiel de la capacité stratégique de l’Europe à défendre ses intérêts et ses valeurs, et à contribuer au maintien de la paix sur notre continent».
La guerre, nouvel horizon d’une Union européenne née sur les décombres du second conflit mondial, pour pérenniser la paix entre ex-pays ennemis. Cruelle ironie de l’histoire.