Surenchère américaine
L'OTAN n'est plus un parapluie militaire fiable (y compris pour la Suisse)

La Suisse ne fait pas partie de l'Alliance atlantique, mais elle profite de facto de son parapluie militaire déployé pour protéger l'Europe. Et demain? A la Conférence sur la sécurité de Munich, l'heure est aux interrogations.
Publié: 16.02.2025 à 14:58 heures
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Dernière mise à jour: 16.02.2025 à 15:03 heures
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Le Secrétaire à la Défense Pete Hegseth a prévenu: les Européens ne peuvent plus compter sur le leadership américain.
Photo: IMAGO/NurPhoto
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Richard WerlyJournaliste Blick

«Dépenser plus pour notre défense, d’accord. Mais quelles garanties aurons-nous en échange?». Mark Rutte n’aime pas trop cette question. Et pour cause: le Secrétaire général de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), et ancien Premier ministre des Pays-Bas, n’est pas vraiment capable d’y répondre. La plus puissante coalition militaire du monde a, depuis sa création en 1949, protégé efficacement l’Europe, y compris les pays neutres du continent comme la Suisse. Mais comment interpréter les propos du Secrétaire américain à la défense américain Pete Hegseth lorsqu’il asséne devant ses alliés: «Don’t look to America for leadership» (Ne regardez pas du côté des Etats-Unis pour un leadership).

Chaque année, la Conférence de Munich réunit en Bavière l’élite de la sécurité et de la défense des pays occidentaux. Crée en 1963, en pleine guerre froide entre l’Occident et l’ex Union soviétique, elle a toujours été un lieu de célébration de l’Alliance atlantique. 

Sauf qu’en 2025, tout est différent: «L’OTAN est absolument engagé aux côtés des Européens», a poursuivi Mark Rutte. «La différence énorme est que nous vivons des temps de grands changements. Où serons-nous dans trois mois, dans un an, dans 5 ans? La chose certaine est que nous ne pouvons plus, sur notre rive de l’Atlantique, continuer de dépenser quatre fois moins pour notre défense que les Etats-Unis. Lesquels nous ont protégés depuis 1945».

Ciel helvétique

La Suisse n’est pas étrangère à ces discussions. A la Conférence de Munich, deux Conseillères fédérales étaient présentes: Karin Keller-Sutter et Viola Amherd. La Confédération doit participer, au printemps 2025, à un nouvel exercice de l’OTAN sur la gestion de crises, après avoir coopéré à l’automne 2024 à une opération de l’alliance sur la protection des sites stratégiques européens.

Le ciel helvétique est, par définition, protégé par la couverture aérienne de l’OTAN même si l’acquisition de 36 avions de chasse F35 en 2022 (pour six milliards de francs) est destinée à renforcer ses moyens de surveillance nationaux. Compter sur l’OTAN est donc une question qui se pose aussi à Berne: «Tout se résume à une question simple: l’article 5 de la charte de l’OTAN, qui stipule une réponse militaire rapide si l'un des 32 pays membres est agressé, est-il toujours valable? On attend une réponse claire de Washington», déclare François Heisbourg, auteur de l'ouvrage «Un monde sans l’Amérique» (Ed. Odile Jacob).

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La réponse, personne ne l’a donnée à Munich. Mieux: la sénatrice démocrate du New Hampshire (opposante politique à Trump) Jeanne Shaheen a averti son propre pays. «On peut cumuler tous les chiffres, tous les engagements européens à dépenser plus pour l’armée et la défense. Soit. C’est indispensable. Mais quel est le message que l’on fait passer si, au moment où les budgets militaires de nos alliés augmentent, nous ne sommes pas fermes sur nos engagements? Quelle confiance allons-nous inspirer si nous continuons de dire que nous sommes prêts à quitter le Vieux Continent?»

L’OTAN, toujours synonyme de stabilité et de sécurité? Oui, pour le Sénateur républicain Lindsay Graham, fervent soutien de Donald Trump. L'intéressé approuve sans nuances la demande de Donald Trump de voir les alliés consacrer au moins 5% de leur Produit Intérieur Brut (PIB) à la défense, contre 2,02% en 2024 (la Suisse est, elle, à 1%). «L’OTAN n’a pas changé en soi. Le texte du traité de l’Atlantique Nord signé par ses 32 pays membres, dont deux ex-neutres (la Finlande et la Suède, qui l’ont rejoint depuis l’agression russe contre l’Ukraine en 2022), est le même. Nos alliés doivent juste comprendre que les Américains ne sont plus d’accord pour faire des concessions. Une majorité d’électeurs pensent que les Etats-Unis ont beaucoup trop payé pour la défense de l’Europe. Ce temps-là est révolu.»

Garanties de sécurité

Le parapluie militaire de l’Alliance est-il encore fiable? Trois de ses membres sont des puissances nucléaires: les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France. Mais une seule, les Etats-Unis, est perçue par les alliés comme leur assurance-vie contre la puissance la plus agressive du moment: la Russie. La proposition d’Emmanuel Macron de mettre davantage la dissuasion française au service de l’Europe a été entendue. Mais, pour la plupart des alliés, elle ne peut pas se substituer au parapluie «Made in USA». Alors?

«La fiabilité du parapluie est remise en question. C’est indéniable» poursuit une députée européenne. Et de préciser: «Jusque-là, chacun achetait des armements américains pour se protéger, mais aussi pour bénéficier de l’assurance-vie de Washington.»

«Quoi qu’elle en dise, la Suisse a aussi fait ça en préférant le F35 de Lockheed au Dassault Rafale français», poursuit notre interlocutrice. «Or si la réciprocité n’est plus automatique, pourquoi s’obstiner avec cette diplomatie du carnet de chèques. Ne ferait-on pas mieux d’aller voir les usines d’armements américaines, dans chaque Etat républicain, pour leur demander d’intervenir auprès de Trump? Avec un argument sonnant et trébuchant: sans garantie de sécurité en retour, plus de nouvelles juteuses commandes européennes».

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