Seule pays au monde à interdire l'école aux filles
Pour les Afghanes, les cours en ligne ne remplacent pas l'école

Troisième rentrée scolaire sans les Afghanes. Depuis l'interdiction de l'école pour les filles en mars 2022 par les talibans, des alternatives naissent. Mais rien ne remplacera le banc des classes.
Publié: 20.03.2024 à 07:52 heures
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Dernière mise à jour: 20.03.2024 à 07:59 heures
Pour la troisième année consécutive depuis la prise du pouvoir des talibans en Afghanistan, la rentrée scolaire se fait sans les filles.
Photo: AFP

La rentrée scolaire a eu lieu mercredi matin en Afghanistan. C'est la troisième rentrée sans les filles en ce qui concerne le secondaire d'où elles ont été bannies par les autorités talibanes.

Le ministère de l'Education avait annoncé mardi que la rentrée pour le primaire et le secondaire aurait lieu ce mercredi, premier jour de l'année calendaire afghane. Pour rappel, moins d'un an après leur retour au pouvoir, les talibans avaient interdit en mars 2022 aux Afghanes de suivre les cours de l'enseignement secondaire.

Se raccrocher aux cours en ligne

Quand l'accès des filles à l'éducation a été fortement restreint par les autorités talibanes en Afghanistan, Zainab, de désespoir, s'est raccrochée aux cours en ligne. Mais cela ne suffit pas à l'empêcher de prendre beaucoup de retard sur les garçons.

L'adolescente devait commencer ses années de lycée en 2022, mais les Afghanes ont été exclues des établissements d'enseignement secondaire et des universités par le gouvernement taliban.

Si l'éducation des filles avait été déclarée prioritaire sous le gouvernement précédent soutenu par les Etats-Unis, seulement 23% des Afghanes de 13 à 18 ans étaient scolarisées, et essentiellement dans les villes, selon le Crisis Group. Puis l'Afghanistan, où les talibans ont multiplié les mesures liberticides envers les femmes depuis leur retour au pouvoir en août 2021, est devenu le seul pays au monde où l'éducation des filles a été interdite après l'école primaire.

«On déprimait»

Des alternatives en ligne sont apparues, mais les étudiantes et professeures y voient un substitut très imparfait à l'enseignement en présentiel, car toutes n'ont pas d'ordinateur ou d'accès à internet. Et surtout, ces cours ne peuvent garantir un avenir professionnel, car les écoles secondaires ne proposent pas de diplôme reconnu.

«Avant de prendre des cours en ligne, on ne faisait rien à la maison. On était inquiète. On passait notre temps à dormir et on déprimait», raconte Zainab, qui a refusé de donner son nom de famille par crainte de représailles. L'enseignement à distance «nous occupe», dit-elle à l'AFP. Mais cela «ne peut pas remplacer l'école».

Alors que les garçons reprennent ce mercredi le chemin de l'école pour une nouvelle année scolaire, Zainab, qui serait en âge d'aller au lycée, commencera à suivre les cours en ligne d'un établissement qui a auparavant deux fois rejeté sa candidature, faute de places disponibles.

Le nombre de filles engagées dans ce type de cours n'est pas connu, mais deux plateformes en ligne dédiées à l'enseignement supérieur disent avoir des dizaines de milliers d'inscriptions.

Difficile de rester motivée

L'Académie Begum, une plateforme basée à Paris qui propose un accès gratuit à 8500 vidéos en langues dari et pachto couvrant le programme de l'école secondaire pour les matières principales, a été lancée en décembre et a rapidement réuni 3000 utilisateurs, majoritairement des femmes. Sa directrice, Hamida Aman, explique que les parents lui sont reconnaissants d'offrir cet enseignement alternatif, mais que les filles ont du mal à garder leur motivation.

«C'est difficile d'être motivée quand tout vous est fermé et qu'il n'y a aucune perspective d'avenir, dit-elle depuis la France, où elle vit. Ces filles ne peuvent pas avoir de diplôme, ne peuvent pas ambitionner d'aller à l'université ni d'avoir plus tard un emploi.»

Cours d'anglais en ligne

Ruhila, 22 ans, donne des cours d'anglais en ligne, tout en essayant de poursuivre ses études universitaires, également à distance. «La seule chose qui me donne de l'énergie dans la situation actuelle, c'est d'enseigner à ces filles», dit-elle.

Les autorités talibanes affirment travailler à créer un environnement adéquat, conforme à leur interprétation restrictive de la loi islamique, pour pouvoir rouvrir les écoles aux filles. Mais d'ici là, l'enseignement en ligne reste l'unique option. Et après deux ans, Ruhila confirme que les filles perdent peu à peu motivation et espérance.

C'est aussi le cas pour elle-même. «Avant, j'envoyais mes devoirs avant la date limite, j'étais enthousiaste, car j'avais (encore) l'espoir qu'un jour, il n'y aurait plus de cours en ligne. Mais quand vous vous faites à l'idée que ce sera pour toujours en ligne, vous perdez votre enthousiasme et vous ne faites plus les mêmes efforts», constate-t-elle.

Moins d'un quart a accès à internet

Les écolières afghanes doivent en plus composer avec un internet souvent très lent, voire en panne, et avec les coupures d'électricité. Selon les chiffres du site spécialisé DataReportal, moins d'un quart des 42 millions d'Afghans ont en 2024 accès à internet.

Dans un pays où la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, l'achat d'un ordinateur est inconcevable pour beaucoup. Près de 90% des étudiants de l'Académie Begum utilisent ainsi leur téléphone pour les cours.

Mieux que rien

«S'il n'y avait pas de problèmes d'internet, ce serait beaucoup plus facile (...) Mais c'est mieux de continuer à avancer, plutôt que de rester assise à ne rien faire», déclare Shekiba, 18 ans, qui économise pour s'acheter un ordinateur portable.

La jeune femme vit à Ishkashem, dans la province montagneuse du Badakhshan (nord-est), où elle n'a pas de wifi chez elle. En attendant d'avoir un ordinateur, elle se débat pour payer son forfait téléphonique afin de suivre les cours gratuits de la Woman Online University. «J'espère juste étudier, réussir. Si une personne progresse dans une famille, la famille entière progresse et l'ensemble de la société également», ajoute-t-elle.

Pour sa part, Aisha, une étudiante de 18 ans, est frustrée de ne pas pouvoir bénéficier du contact social qu'offre une école. «Des cours en ligne peuvent nous donner de l'espoir, dit-elle. Mais on ne peut jamais dire: 'J'ai étudié en ligne, donc je suis diplômée d'une école.'»

(AFP)

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