Plan de Trump rejeté
Et si les Européens avaient tout faux sur la paix en Ukraine?

Les Européens crient haro sur le plan de Donald Trump, jugé à juste titre comme bien trop favorable à la Russie de Vladimir Poutine. Mais que vont-ils faire si les Etats-Unis se désengagent brutalement?
Publié: il y a 36 minutes
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Dernière mise à jour: il y a 35 minutes
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Si les négociations de paix entamées par Donald Trump s'interrompent, la guerre reprendra de plus belle en Ukraine.
Photo: IMAGO/Andreas Stroh
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Richard WerlyJournaliste Blick

Les faits sont incontestables: ce que l’on connaît, divulgué par la presse américaine, du projet de plan de paix mis sur la table par l’administration Trump ressemble fort à une capitulation de l’Ukraine. L’annexion de la Crimée serait reconnue internationalement. La quasi-totalité de la région de Louhansk et des parties occupées par la Russie de Donetsk, Kherson et Zaporijia seraient perdues. La centrale nucléaire de Zaporijia serait exploitée par les États-Unis, pour approvisionner l'Ukraine et à la Russie. Les sanctions financières et économiques contre Moscou en place depuis 2014 seraient levées. Kiev promettrait de ne jamais rejoindre l’OTAN. Toutes ces dispositions sont rejetées unanimement par les Européens. Mais ont-ils raison?

La loi du terrain

Poser cette question exige de faire le tri entre l’analyse politique du conflit, la réalité sur le terrain, et les conséquences d’une poursuite des hostilités pour l’Europe. Politiquement en effet, ce plan de paix défendu par Steve Witkoff, l’émissaire de Donald Trump qui se rend à nouveau en Russie cette semaine, est un coup de poignard dans le dos de l’allié ukrainien soutenu à bout de bras par les Etats-Unis depuis l’agression russe du 24 février 2022. Le locataire de la Maison Blanche veut faire céder Zelensky, qu'il accuse de nouveau de «prolonger les tueries» alors que les missiles russes s'abattent sur Kiev.

Sur le terrain, cela reviendrait par ailleurs à concéder à une puissance impériale, la Russie, le droit de modifier par la force des frontières internationalement reconnues. Pour l’Europe enfin, le rejet de ce plan de paix, aussi discutable soit-il, veut dire que le Vieux Continent s’enlisera dans des hostilités dont il est très difficile de voir la fin.

Est-il justifié, dès lors, de faire bloc contre les propositions de Trump? Et si oui, quelles sont les propositions de rechange des Européens, alors que l’armée russe est en position de force et que la cessation de l’aide militaire américaine pourrait accélérer le repli des forces ukrainiennes engagées sur les 1400 kilomètres de front? La formule américaine n'est-elle pas, au contraire, «une base de négociation intéressante, car elle ne fait que consacrer l’inévitable» comme l'affirme l’ancien ambassadeur de France à Washington Gérard Araud, cité par la lettre La Matinale Européenne. «Une pause, c’est mieux qu’une guerre», soutient le diplomate au nom du réalisme.

Tenir tête à Poutine

Faire bloc contre Trump n’est pas une erreur si l’Europe peut, seule, tenir tête à Poutine aux côtés des Ukrainiens. Si.... Car cela suppose que l’Union européenne soit capable, comme elle s’y est engagée, d’avancer rapidement sur l’intégration de ce pays. Laquelle, il faut le redire, est un sujet majeur de contentieux dans de nombreux Etats-membres.

La Hongrie de Viktor Orbán y est farouchement opposée, ce qui n’est pas surprenant. Mais on oublie que la France aussi, inquiète pour son agriculture, freine sur cet élargissement qui obligerait à accélérer aussi l’entrée dans l’UE des pays des Balkans occidentaux, toujours dans l’attente. En langage direct: rejeter Trump, c’est imposer à l’UE et à ses pays partenaires (dont la Suisse) une marche forcée ukrainienne, et pas seulement sur le plan militaire.


L’autre erreur que les Européens risquent de faire, en s’opposant aux propositions chocs de Donald Trump, est de négliger la fatigue extrême de la guerre qui prévaut en Ukraine. Oui, les Ukrainiens se battent avec courage pour défendre leur pays. Oui, une large majorité d’Ukrainiens refuse de voir Poutine dépecer leur territoire.

Mais l’accumulation des morts et des blessés, et le fait que les jeunes générations d’hommes sont décimées, n’est pas supportable. L’Ukraine est, depuis 2022, le bouclier de l’Europe contre la Russie. Peut-elle continuer à jouer ce rôle alors que, faute d’équipements et de renseignement (si les Etats-Unis se détournent) ce conflit entre deux nations orthodoxes au passé largement commun deviendra encore plus meurtrier?

Trump le fera payer cher

Une troisième erreur plane au-dessus des Européens: les conséquences d’un «non» cinglant adressé à Donald Trump. A coup sûr, le Président des Etats-Unis fera payer au prix cher cette opposition à ses alliés (officiels). Trump veut un «deal» avec la Russie. Cela ne va pas changer. Il pense qu’il peut désolidariser Moscou de la Chine. Il est décidé à retirer des troupes américaines du Vieux Continent, ce qu’il a commencé à faire en Pologne.


Trump a aussi en main, aussi caricaturale soient-elles, de bonnes cartes commerciales. Les industriels européens ont besoin du marché américain. Et les géants numériques de la Silicon Valley que Bruxelles envisage de taxer sont en position de force en Europe.

Question: l’UE n’est-elle pas en train de présumer de ses forces? Et qu’en pensent les électeurs qui dans deux pays importants de l’Union, la Roumanie et la Pologne, s’apprêtent à voter en mai pour un nouveau président?

Quel plan alternatif?

Enumérer ces problèmes ne signifie pas qu’il faut céder à Trump. Ou qu’il faut lâcher l’Ukraine comme Washington l’envisage. Le sujet est celui du plan alternatif «Made in Europe». Il est inexistant.

Sans les Etats-Unis, les Européens se condamnent à être soit les acteurs interposés d’une guerre avec la Russie, soit les spectateurs d’un conflit qui va épuiser leurs ressources militaires et économiques. Dire non à Trump? C’est possible. C’est peut-être légitime. Mais est-ce supportable?

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