Européens, soyez rassurés: l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) veille sur vous et la paix sur votre continent. Depuis la création, le 4 avril 1949, de la plus puissante coalition militaire au monde autour des Etats-Unis, ce refrain est celui que tous les dirigeants européens ont plus ou moins entonné. Quelques-uns, comme le général de Gaulle, se sont cabrés au nom de l’indépendance de leur pays.
C’est ainsi que la France a provisoirement quitté, de 1966 à 2009, le commandement intégré de l’OTAN, à savoir sa principale structure militaire, dirigée depuis 75 ans par un général américain. Cette parenthèse française s’est refermée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Et le déclenchement de la guerre en Ukraine a parachevé l’Alliance, qui compte désormais 32 pays membres, après l’intégration de deux ex-Etats neutres: la Finlande et la Suède.
Rien de nouveau donc sous le ciel de l’OTAN, sauf cet élargissement et la posture de combat aujourd’hui de rigueur, face à la menace russe incarnée par l’assaut du 24 février 2022 contre l’Ukraine? C’est tout le contraire! L’OTAN apparaît immuable, mais beaucoup de choses sont en train de changer au sein de cette alliance dont le siège, à Bruxelles, est plus imposant que celui de l’Union européenne, distant de quelques kilomètres.
C’est cette révolution intérieure qui est à l’agenda des ministres des Affaires étrangères des 32 pays membres qui se retrouvent, ces 3 et 4 avril, dans la capitale belge, avant un somme crucial à Washington, les 11 et 12 juillet. L’OTAN devra alors trancher sur trois points décisifs. Qui sera son prochain patron? Comment transférer davantage de pouvoirs militaires aux Européens, en particulier dans le cas de l’aide à l’Ukraine? Et que faire si la Russie teste ses défenses, comme beaucoup d’experts le redoutent après la réélection de Vladimir Poutine le 17 mars dernier avec 87,3% des voix. Avec une évidence inattendue: une alliance de fait entre la Maison-Blanche et l’Élysée. Joe Biden et Emmanuel Macron, l’un pressé par la menace Trump, l’autre désireux de s’affirmer comme leader européen, se retrouvent peu ou prou sur la même longueur d’onde.
Rutte, après Stoltenberg?
Premier sujet sur lequel Biden et Macron semblent être tombés d’accord: le nom du futur secrétaire général de l’OTAN pour remplacer Jens Stoltenberg. Le candidat le mieux placé est le Premier ministre néerlandais sortant Mark Rutte (centre droit). Un choix qui rassure les Etats-Unis, car les Pays-Bas sont très atlantistes, et qui permet à la France d’éviter un candidat Allemand qui aurait pu compliquer l’agenda «souverainiste européen» de Macron, ou un candidat polonais ou balte, bien trop anti-Russe.
Berlin, qui a mis sur la table en février 2022 cent milliards d’euros pour la réforme et la modernisation de la Bundeswehr, se méfie des coups de menton de Paris et de la posture de plus en plus martiale de la France, puissance nucléaire. Si la candidature de Mark Rutte se confirme, l’équilibre serait préservé.
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Second sujet sur lequel Biden et Macron convergent: la nécessité pour les Européens d’assumer un rôle croissant au sein de l’OTAN. Cela vaut pour les dépenses militaires, avec le fameux critère de 2% du produit intérieur brut consacré à la défense. La France, leader industriel européen dans le domaine de l’armement avec son aéronautique (l’avion Rafale) et ses fabricants de canons ou de missiles (les fameux Caesar et Scalp utilisés en Ukraine), est un bon interlocuteur pour les Etats-Unis qui veulent exporter davantage vers le Vieux Continent, mais qui ont aussi besoin d’un pilier européen solide pour ne pas avoir à s’engager systématiquement.
Trump a préparé le terrain
Le candidat Donald Trump a, en la matière, préparé le terrain. Face à ses menaces de ne pas défendre les alliés de l’OTAN, les projets franco-allemands de char du futur (MGCS) ou d’avion de chasse du futur (SCAF) ont été relancés. Berlin procrastine. La France s’impatiente. Mais Joe Biden sait qu’il devra, durant la campagne électorale, faire face aux accusations de Trump, dont les partisans au Congrès bloquent toujours les soixante milliards de dollars d’aide à l’Ukraine. Il ne veut pas apparaître comme un président qui porte l’Europe à bout de bras. Macron, en évoquant la possibilité de déployer des troupes au sol «si la dynamique» du conflit l’exige, le soulage sur ce flanc-là.
Troisième sujet d’accord entre les deux hommes: la posture vis-à-vis de la Russie. La Pologne et les pays Baltes sont les plus offensifs. L’Allemagne est le pays qui rechigne le plus à une logique d’affrontement avec Moscou. L’avantage de la France et de son président «cogneur» (on se souvient des photos récentes de Macron en boxeur) est qu’elle permet à la fois d’être crédible sur le plan militaire – grâce à sa force de dissuasion nucléaire – et qu’elle n’apparaît pas complètement inféodée à Washington comme le Royaume-Uni, l’autre puissance atomique. L’axe Washington-Paris est bien calibré. C’est pour cela que le secrétaire d’État américain Antony Blinken a fait un détour par l’Élysée mardi 2 avril avant de se rendre à Bruxelles. L’intéressé est en plus francophone. Bien joué!
Réinventer l’OTAN
75 ans, un axe Biden-Macron pour réinventer l’OTAN face à Poutine? Cela fait sens. Première étape évoquée à Bruxelles ce mercredi 3 avril: l'OTAN pourrait prendre en charge, au nom des alliés, la coordination de l'aide militaire à l'Ukraine. Une confirmation de l’ancrage européen de l’alliance, inévitable vu les tentations isolationnistes américaines et l’obsession chinoise des Etats-Unis. Mais il reste une question de taille: que fera Donald Trump de tout ça, s’il revient à la Maison-Blanche? Tel un éléphant dans un jeu de quilles, voudra-t-il tout chambouler pour démontrer au monde qu’il est le patron, et pour forcer les Européens à faire le plus de chèques possible au lobby militaro-industriel américain?