De Gaulle, reviens! Combien de Français formulent cette injonction dans leurs conversations sur l’état de la France et sur l’état du monde, entre les surenchères électorales de Donald Trump et les menaces de Vladimir Poutine? Combien de téléspectateurs ont, ce mercredi 20 mars, ressenti cette nostalgie gaulliste en regardant l’hommage national aux Invalides rendu par Emmanuel Macron au fils du Général, l’Amiral Philippe de Gaulle, décédé à 102 ans le 12 mars. Ce fils fidèle, militaire de carrière, puis sénateur, incarnait l’héritage gaulliste dont la Fondation Charles de Gaulle est le dépositaire. Coïncidence du calendrier: celle-ci organisera bientôt une exposition sur «De Gaulle et la Suisse».
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De Gaulle, de père en fils
Oui, De Gaulle. Dans son discours dans la cour carrée des Invalides qu’il affectionne et où il était encore le 14 février pour rendre hommage à l’avocat et ministre Robert Badinter, Emmanuel Macron a évidemment salué le mythe. Un mythe familial et, au-delà, le mythe de l’homme providentiel qui sauva à la fois l’honneur, la République et l’indépendance de la France. En août 1944, trois mois après le débarquement du 6 juin dont les alliés s’apprêtent à commémorer le 80e anniversaire, Philippe de Gaulle, fils du Général alors chef de la France libre, navigue sur la Manche comme officier de la marine britannique, avant de fouler le sol français aux côtés de la 2e division blindée du Général Leclerc.
Mais l’image que les Français gardent du Général est autre. C’est l’appel du 18 juin 1940 qui refuse la défaite, la soumission à l’Allemagne nazie et prédit une guerre «mondiale». C’est la décision annoncée, lors d’une conférence de presse en février 1966 par le Général de Gaulle, alors président de la République, de retirer la France du Commandement intégré de l’OTAN et de fermer les bases militaires américaines sur le sol français. C’est l’explosion, le 13 février 1960, de Gerboise bleue, la première bombe atomique française, dans l’actuel Sahara algérien.
L’hommage à Philippe de Gaulle
Le successeur de son père
De Gaulle, reviens! L’Amiral Philippe de Gaulle, discret après ses années parlementaires, se gardait bien d’entretenir cette folle envie de gaullisme qui étreint toujours la France, en mêlant les vrais souvenirs aux fantasmes. «Reviendrait-il vraiment? Existait-il pour de vrai? La frontière délimitant les fabulations enfantines et les réalités des adultes est incertaine. Qui était cette silhouette démesurée sous uniforme de soldat, coiffée d’un képi à deux étoiles?» interroge l’écrivain Denis Tillinac dans l’introduction de son «Dictionnaire amoureux du Général de Gaulle» (Ed. Plon).
Oui, a-t-il vraiment existé, ce géant à qui de très nombreux Français attribuent encore aujourd’hui l’indépendance de leur pays par rapport aux États-Unis, mais aussi la politique de main tendue à la Russie, et l’affirmation d’une politique arabe qui permettait à Paris, dans les années 60 et 70, de tancer Israël sans en subir les conséquences?
Sur l’Amiral Philippe de Gaulle, à qui un hommage solennel a été rendu avec survol de Paris par des avions militaires, Denis Tillinac dit l’essentiel: «C’est un lourd, très lourd destin que d’être à la fois le fils et presque le sosie d’un héros de légende. L’immense mérite de Philippe de Gaulle aura été de tenir ce rôle avec un naturel qui force le respect». Ce fils, militaire de carrière, ne fut jamais élevé par son père à la dignité de Compagnon de la libération, contrairement au gendre du Général, Alain de Boissieu. Il ne connut pas les camps de déportation, contrairement à sa nièce Geneviève de Gaulle, résistante de la première heure et arrêtée par les nazis, puis envoyée au camp de Ravensbrück. Or Philippe de Gaulle avait une mission. Son père pensait à lui comme successeur. «De Gaulle avait clairement demandé à l’amiral de se tenir prêt. A quoi? A servir la France, au gré des aléas».
Le retrait de l’OTAN par De Gaulle
C’est ce verbe qui a dominé l’éloge funèbre d’Emmanuel Macron, ce président de 45 ans si doué pour les hommages républicains dont il a fait une arme politique: servir. «De Gaulle a eu plus de chance avec sa famille que Napoléon» écrit Denis Tillinac et c’est juste. La légende du Général est intacte en France. Ses biographies continuent d’être des succès de librairie. De Gaulle est partout, toujours cité. Le Général refusa toujours obstinément la domination des deux blocs, soviétique et américain. La primauté de l’État-nation était pour lui essentielle. Il n’aimait pas l’Europe «des marchands» et divergea souvent sur ce sujet de Jean Monnet, l’un des fondateurs de l’actuelle Union européenne dont les archives sont détenues, à Lausanne, par la Fondation qui porte son nom. De Gaulle souhaitait lier avec l’ex-URSS des relations diplomatiques sans avoir à demander la permission de Washington. Qu’aurait-il fait face à Trump et face à Poutine? La question reste entière.
Au secours de Gaulle! Ce cri n’a pas retenti dans la cour des Invalides, mais beaucoup de Français sont prêts à le pousser. En sachant que personne n’a encore tranché: qui fut le plus fidèle héritier politique du Général? Sûrement pas Giscard, bien trop libéral à ses yeux. Peut-être Mitterrand. Éventuellement Chirac. Pas Sarkozy, le président qui réintégra le commandement militaire de l’OTAN. Pas Hollande, président trop normal. Alors qui? Emmanuel Macron attend la réponse…