Karim Khan est sans doute aujourd’hui le juriste le plus détesté en Israël. A 54 ans, cet avocat britannique de confession musulmane, infatigable défenseur du droit international, est dans le viseur de tous ceux qui jugent inacceptable et indéfendable sa décision de demander des mandats d’arrêts à la Cour pénale internationale (CPI) pour le Premier ministre Benyamin Netanyahu et son ministre de la Défense Yoav Gallant.
Ce juriste de renom a-t-il commis la plus grande faute de sa carrière? Tous ceux qui le connaissent disent le contraire. D’abord parce que Karim Khan a aussi demandé des mandats d’arrêts contre trois des plus hauts responsables du Hamas: Mohammed Deif, Ismaël Haniyeh et Yahya Sinwar pour «crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité».
Ensuite parce que cette procédure formelle enclenchée lundi 20 mai n’est que la première étape du processus judiciaire qui pourrait, un jour, conduire à la comparution à La Haye des intéressés. Trois juges de la CPI doivent en préalable approuver la requête pour les mandats d’arrêts, ce qui peut prendre des mois. Il faudra ensuite appréhender ces individus. Puis les amener devant la Cour, qui ne peut pas juger «in absentia».
Reconnaissance de la Palestine
Le plus dur à vivre, pour cet ex-avocat qui dirige l’accusation de la CPI depuis le 12 février 2021, est le moment actuel. Sa demande de mandats d’arrêt, jugée inacceptable par la plupart des Israéliens, car elle revient à mettre un pied d’égalité l’assaut terroriste du Hamas le 7 octobre et la riposte de Tsahal à Gaza, intervient pile au moment où trois États européens viennent de déclarer leur intention de reconnaître l’État de Palestine.
L’Espagne, l’Irlande et la Norvège passeront à l’acte le 28 mai. Une décision plus que symbolique quand on sait que c’est à Oslo, la capitale norvégienne, que furent signés les accords entre le gouvernement israélien de Yitzhak Rabin et l’Organisation de libération de la Palestine de Yasser Arafat, le 13 septembre 1993. Ces accords, piétinés depuis, étaient la conséquence du processus enclenché par la Conférence de paix de Madrid d’octobre 1991. La signification du geste espagnol et norvégien est donc limpide: il faut maintenant contraindre l’État hébreu à accepter un État Palestinien, aujourd’hui reconnu par environ 140 États de l’ONU.
Opération «Plomb durci»
Pourquoi Karim Khan a-t-il pris ce risque? L’intéressé est parfaitement au courant de l’offensive tous azimuts lancée en 2009 par Israël contre le juge sud-africain Richard Goldstone, qui dirigeait la mission d’établissement des faits mandatée par le Conseil des droits de l’homme sur le conflit à Gaza de 2008-2009 (opération «Plomb durci»). «Les années Goldstone ont été très formatrices pour lui» juge un de ses anciens collaborateurs à la CPI.
Selon le rapport du juge sud-africain, ancien procureur du Tribunal Pénal international pour l’ex-Yougoslavie, «de graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire avaient été commises par Israël au cours de ce conflit». Les actions d’Israël, selon lui, équivalaient à «des crimes de guerre, selon les experts, et pourraient constituer des crimes contre l’humanité». Bis repetita, quinze ans plus tard…
Né en 1970 en Écosse et diplômé du King’s College de Londres, Karim Khan a accédé au barreau de la capitale britannique comme avocat dès 1992. Il a travaillé pour les deux tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda entre 1997 et 2000, puis il a défendu des accusés comme l’ancien président libérien Charles Taylor ou encore Saif Al-Islam Kadhafi, le fils du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Au Cambodge en revanche, Karim Khan était aux côtés des victimes de Douch, l’exécuteur en chef du régime Khmer rouge de Pol Pot. Il a ensuite dirigé l’équipe des enquêteurs sur les crimes de Daech en Irak.
Soutien des pays africains
La colère israélienne, mais aussi celle du Hamas – beaucoup plus discret depuis la demande d’émission des mandats d’arrêt – est bien sûr liée à la personnalité de ce juriste qui ne cache pas sa foi dans l’Islam et ses origines paternelles pakistanaises. Son élection, en 2021, s’est déroulée de justesse, grâce au soutien des États africains qui dénonçaient alors l’obsession de la CPI pour les dirigeants de leur continent. Sa réputation internationale a aussi été mis à mal par le mandat d’arrêt réclamé et obtenu contre Vladimir Poutine en 2023 pour crimes de guerre. Ce qui lui vaut d’être recherché en Russie.
De Gaza, Karim Khan ne connaît que le point de passage de Rafah (avec l’Égypte) où il s’est rendu le 29 octobre 2021 avec son équipe d’enquêteurs. Ses derniers ont basé leur évaluation des crimes commis sur les témoignages recueillis, la nature des blessures, et quantité d’images transmises sur téléphone portable. Il est en quelque sorte le regard de la communauté internationale sur ce qui se passe dans le territoire, désormais largement réduit en ruines.
Karim Khan s’était rendu début décembre en Israël après le massacre du 7 octobre 2023 commis par le Hamas. «Ma visite en Israël a été effectuée à la demande des membres des familles et des amis des citoyens israéliens qui ont été tués ou pris en otage par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens le 7 octobre 2023. Dans les kibboutz Beeri et Kfar Azza, ainsi que sur le site du festival de musique Nova à Re’im, j’ai été témoin de scènes d’une cruauté calculée».
Prêt à travailler avec les familles des otages
Et d’ajouter: «Les attaques perpétrées contre des civils israéliens innocents le 7 octobre représentent certains des crimes internationaux les plus graves qui choquent la conscience de l’humanité, des crimes pour lesquels la CPI a été créée. Lors de ma rencontre avec les familles des victimes de ces attaques, mon message a été clair: nous sommes prêts à travailler en partenariat avec elles dans le cadre de notre action permanente visant à amener les responsables à rendre compte de leurs actes».