Les colères et les protestations étudiantes sont loin d’être toujours justes et justifiées. Mais elles disent à chaque fois, dans nos démocraties, l’air du temps qui souffle sur la jeunesse. Or aujourd’hui, cet air du temps porte haut la cause palestinienne. Il suffit de voir les drapeaux déployés dans les manifestations et sur les campus, des États-Unis à la France en passant par le Royaume-Uni ou l’Espagne, mais aussi par la Suisse. Il suffit aussi de regarder combien le keffieh palestinien à damier, cher à Yasser Arafat, le défunt leader de l’OLP, est redevenu un foulard culte. C’est ainsi: Gaza est peut-être en train de devenir le Vietnam d’autrefois dans les universités. Et le pire serait de s’en indigner. Ou de diaboliser cette colère parce qu’elle met en cause l’État d’Israël et les pratiques de son armée.
Gaza-Vietnam: oui, le parallèle tient debout. Comme le peuple vietnamien, colonisé autrefois par la France puis bombardé par l’armée américaine, le peuple palestinien a le droit d’exister et de bénéficier des mêmes droits que le peuple israélien, sur une terre qui est aussi la sienne. Et comme le Vietnam en butte au rouleau compresseur américain, à force de napalm et de bombardements massifs, la bande de Gaza ne mérite pas d’être transformée en charnier et en cercueil pour ses deux millions d’habitants terrés dans ce qui reste de zone encore vivable.
L’instrumentalisation existe
La colère étudiante est, bien entendu, instrumentalisée. La gauche radicale, comme jadis le parti communiste à propos du Vietnam, est à son aise dans ces démonstrations étudiantes et dans l’occupation des universités. Et alors? A-t-on oublié à quel point, dans les années 60 et 70, la lutte pour le Vietnam, avec son cortège d’artistes et d’intellectuels, était-elle aussi manipulée et souvent déformée? Le pays que l’armée américaine dut se résoudre à évacuer entre 1973 et 1975 est toujours, aujourd’hui, dirigé par un régime communiste qui opprime toute dissidence et jette les journalistes indépendants en prison. Il n’empêche: le combat des Vietnamiens pour leur libération et leur indépendance était juste. Ceux qui lui apportèrent leur soutien voulaient, avant tout, que cesse l’impérialisme violent et cynique de Washington.
Cessons donc d’avoir peur de nos jeunes. Cessons d’assimiler la rébellion dans les universités à une mobilisation haineuse contre les juifs. Oui, l’antisémitisme doit être combattu sans relâche. Oui, Israël a le droit d’exister et l’assaut terroriste du 7 octobre conduit par le Hamas est assimilable aux pires pogroms de l’histoire. Mais ne muselons pas la jeunesse. Et n’oublions pas qu’en Israël, presque tous les soirs, des dizaines de milliers de manifestants battent le pavé pour demander la démission du premier ministre Benyamin Netanyahu, dont la politique complaisante envers le Hamas et le soutien aux colons israéliens les plus violents de Cisjordanie a mené son pays dans l’impasse actuelle.
Respect et non violence
La non-violence, le respect des locaux et des institutions académiques, la dénonciation de la haine sont des impératifs. Mais ne demandons pas aux étudiants, c’est-à-dire à notre jeunesse, d’abdiquer leur capacité d’indignation et leur refus de voir les Palestiniens traités en sous-hommes, comme le furent jadis les Indiens d’Amérique aux États-Unis.
Gaza, comme autrefois le Vietnam, est un mot d’ordre contre l’oppression, la mort de milliers d’enfants palestiniens, la destruction systématique d’un territoire et l’utilisation disproportionnée de la force. Prenons-le comme tel: comme un cri lancé par ceux qui, demain, hériteront d'un monde que les horreurs de Gaza contribuent malheureusement à rendre plus impitoyable et invivable.