Les pires révoltes sont celles qui aboutissent à la terreur et au déferlement de violences sur une population, désignée à la vindicte des manifestants. Or ce danger guette aujourd’hui certains campus d’universités américaines, où les sit-in et les occupations pro-Palestine sont en train de dégénérer en affrontements directs entre étudiants.
Est-ce étonnant, dans un contexte de tensions maximales exacerbées par le jusqu’au-boutisme du Hamas palestinien et par l’emploi disproportionné de la force par l’armée israélienne à Gaza? Non. Est-ce dangereux et révoltant? Oui.
Que des étudiants juifs deviennent, dans les universités de pays démocratiques, la cible de colères parfois instrumentalisées, est à la fois inacceptable, inquiétant, et totalement contre-productif sur le terrain, dans ces territoires palestiniens dont la souffrance scandalise à juste titre une partie de la jeunesse mondiale.
Vague de colères
Il y a, dans la vague de colère étudiante des deux côtés de l’Atlantique, une part d’indignation et de refus similaire à celle qui conduisit tant d’étudiants, dans les années 60, à épouser la cause du Vietnam libre contre l’impérialisme américain. Cette colère, nous l’avons déjà écrit, doit être prise pour ce qu’elle est: à savoir la réaction viscérale d’une classe d’âge angoissée de son avenir, devant le rouleau compresseur des injustices dont les Palestiniens sont victimes, comme les images abominables en provenance de Gaza le prouvent chaque jour.
Faut-il, toujours, redire que l’assaut terroriste du Hamas le 7 octobre est la cause directe de ce déclenchement disproportionné de violences et de destructions de la part d’un gouvernement israélien actuellement dominé par une extrême droite raciste, messianique et colonisatrice? Oui. Faut-il redire que les deux millions de Gazaouis sont aussi les victimes de la stratégie du pire du Hamas? Oui. Tout comme il faut redire que l'État Hébreu est une démocratie qui a le droit d'exister et de se défendre.
Faut-il s’inquiéter de la prolifération des «mains rouges», considérées par les Israéliens comme une référence directe au massacre de deux soldats de Tsahal à Ramallah en 2000? Tirer l’alarme est en tout cas justifié, même si ce symbole a été utilisé dans d’autres circonstances.
Regarder tous les faits
Ces sujets douloureux doivent être abordés. Les protestataires, surtout s’ils sont étudiants dans des pays libres, ont le devoir de regarder tous les faits. Mais avant même que le débat s’installe, une dérive doit être absolument condamnée: celle des atteintes physiques ou verbales contre les étudiants juifs.
Eux aussi, ne l’oublions pas, sont les victimes de ce conflit qui polarise et radicalise les universités. Eux aussi, souvent, n’en peuvent plus de la main mise de l’extrême droite sur l’État Hébreu. Eux aussi, et certains le prouvent en défilant pour la Palestine, veulent qu’une fois le cessez-le-feu obtenu à Gaza, la diplomatie reprenne ses droits vers une solution à deux États.
S’en prendre aux étudiants juifs est, à tous égards, une aberration. D’abord parce qu’elle les rejette dans un camp qui n’est pas nécessairement le leur. Ensuite parce qu’elle donne à ce politicien madré et cynique qu’est Netanyahu l’occasion de mobiliser, de resserrer les rangs, et de justifier sa politique de destruction qui a déjà conduit à des dizaines de milliers de morts, et à l’anéantissement littéral des deux tiers de la bande de Gaza. Enfin, parce qu’elle donne à la société israélienne le sentiment qu’elle vit dans un pays assiégé, condamné à lutter par tous les moyens, même les plus inacceptables du point de vue du droit international.
Batailles sur les campus
Transformer les campus en champs de bataille entre étudiants, en Europe comme aux États-Unis, est la pire des options pour la jeunesse légitimement indignée. Tous ceux qui prônent l’affrontement ont peut-être quelque chose à y gagner. Mais ils ne feront jamais, par ce biais, progresser la cause juste du peuple palestinien, et la prise de conscience indispensable, en Israël, des dégâts colossaux causés à ce pays par Benyamin Netanyahu et ses alliés.