Il y a plusieurs façons de lire la décision du procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) de demander des mandats d’arrêts contre Benjamin Netanyahu, le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant et les dirigeants du Hamas Mohammed Deif, Ismaïl Haniyeh et Yahya Sinwar.
La première lecture consiste à crier à l’amalgame entre des dirigeants israéliens qui exercent un droit de riposte et de légitime défense à Gaza, et les responsables du Hamas responsables de l’assaut terroriste du 7 octobre 2023 qui a tout déclenché. C’est ce qu’a fait immédiatement le premier ministre israélien, qui a exprimé son «dégoût» face à la demande du procureur de la CPI. Et ce qu’a fait aussi Joe Biden, qui l’a jugé «scandaleux», estimant que l’offensive d’Israël à Gaza «n’est pas un génocide».
La seconde lecture consiste à se féliciter de la prise en compte des tragédies humaines provoquées par l’engrenage de la violence dans la bande de Gaza, depuis le déclenchement de l’opération «Glaive de fer» par le commandement de Tsahal, l’armée israélienne. Cette lecture est celle de la plupart des juristes internationaux, qui font confiance aux pièces à conviction réunies par le procureur. Lequel devra obtenir l’aval de trois juges de la Cour avant que celle-ci puisse lancer les mandats d’arrêt.
Troisième lecture enfin: celle de ceux qui estiment indispensable un réveil de la justice internationale et de sa «compétence universelle», face aux atteintes massives au droit de la guerre, susceptibles d’essaimer encore plus ailleurs dans le monde. Ceux-là demandent en plus que la Cour Pénale internationale puisse, demain, juger des accusés en leur absence. Ce qui est impossible aujourd’hui selon ses statuts.
Netanyahu et le Hamas à Gaza: impossible à comparer
C’est la thèse de tous ceux qui estiment que la responsabilité de l’engrenage qui a coûté la vie à près de 40’000 Palestiniens et entraîné la destruction totale d’une grande partie de la bande de Gaza, revient d’abord au Hamas. Sans l’assaut terroriste du 7 octobre, qui a causé la mort à environ 1200 israéliens, dont 37 enfants, cette guerre n’aurait pas eu lieu. Et la bande de Gaza n’aurait pas été rasée, comme cela est aujourd’hui le cas, notamment au nord. Israël ne fait, selon cette thèse, qu’exercer son droit à la légitime défense.
La justice internationale n’est toutefois par un observateur politique des réalités des conflits. Elle ne juge pas les responsabilités des protagonistes dans le déclenchement d’une guerre, qui est un acte politique, mais leur comportement durant cette guerre et leurs responsabilités directes dans les violences commises contre des civils. C’est très différent. Il ne faut pas non plus confondre la procédure de la Cour pénale internationale (CPI) qui vise des individus soupçonnés de «crimes de guerre» et de «crimes contre l’humanité», et celle de la Cour internationale de justice (CIJ), qui juge des États, et que l’Afrique du Sud a saisi, pour demander des mesures provisoires d’urgence afin de mettre immédiatement fin aux opérations militaires israéliennes en cours à Rafah, dans le sud de Gaza, où plus d’un million de Palestiniens ont trouvé refuge.
Ces deux institutions sont basées à La Haye, aux Pays-Bas. A noter: les statuts de la Cour Pénale Internationale n’ont pas été ratifiés par Israël (qui les a signés) alors qu’ils l’ont été par l’Autorité palestinienne.
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Netanyahu et le Hamas à Gaza: des crimes comparables
C’est la thèse inverse. Pour ses partisans, la seule question qui vaille est celle des «crimes de guerre» et «crimes contre l’humanité» présumés commis à Gaza. Le procureur britannique de la Cour Pénale Internationale, Karim Khan, est donc, pour ces derniers, habilité à réclamer des mandats d’arrêt. Lesquels n’ont pas encore été émis, et ne signifient pas que les personnes nommées (Benjamin Netanyahu, Yoav Gallant, Yaya Sinouar, Mohammed Deif et Ismaël Haniyeh) seront inculpées et reconnues coupables à l’issue d’une enquête. Si tel était le cas, la question qui se posera ensuite sera celle de leur arrestation, puis de leur comparution effective devant la Cour. Deux réalités aujourd’hui difficiles à imaginer…
La personnalité de Karim Khan, un juriste de réputation internationale de confession musulmane, est très intéressante. Il a défendu les victimes des dirigeants Khmers Rouges devant le tribunal spécial chargé de les juger au Cambodge. Il a dirigé l’équipe d’enquêteurs chargée d’établir les crimes de guerre commis par l’État islamique (Daech). Il faut aussi se souvenir que sa prédécesseure, la juriste gambienne Fatou Bensouda, a franchi une étape cruciale en obtenant, en février 2021, que la compétence territoriale de la Cour dans la situation en Palestine, un Etat partie au Statut de Rome de la CPI, s’étende aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.
La Cour pénale internationale (CPI) enquête depuis 2021 sur les crimes de guerre commis dans les territoires palestiniens. Karim Khan a, depuis le déclenchement de la guerre, plusieurs fois promis «d’utiliser pleinement la force de la loi pour rendre justice aux victimes des deux camps».
Netanyahu et le Hamas à Gaza: une responsabilité internationale
C’est la troisième lecture possible de cette demande du procureur de la CPI. En intervenant de la sorte, au risque d’alimenter la polémique et de déstabiliser son institution – Les États-Unis (qui ont signé les statuts de la CPI, mais ne les ont pas ratifiés, tout comme la Russie) ont déclaré «scandaleuse» la mise en cause de Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant – le procureur Karim Khan joue la crédibilité mondiale de la Cour. Jusque-là, celle-ci, créée en 1998 et installée en 2002, était très critiquée pour s’en prendre seulement aux dirigeants de pays ou de groupes rebelles africains. Elle est également sur la sellette pour ne pas avoir émis de mandat d’arrêt contre le président Syrien Bachar Al Assad, qui est en revanche sous le coup d’un mandat d’arrêt international de la justice française. Le procès de trois criminels de guerre syriens présumés vient d’ailleurs de s’ouvrir à paris ce mardi 21 mai.
La CPI est aussi mise en cause pour avoir émis un mandat d’arrêt, le 17 mars 2023, contre Vladimir Poutine, président de la Russie, et Maria Lvova-Belova, commissaire russe aux droits de l’enfant, dans le cadre de son enquête sur la disparition forcée de mineurs ukrainiens durant les premiers mois de la guerre. A l’heure où le «deux poids-deux mesures» est souvent cité par les pays du sud pour justifier leur soutien à Moscou, alors que les États-Unis et les Occidentaux soutiennent Israël, le rôle de la justice internationale est extrêmement compliqué.
Il faut redire aussi, et c’est très important, que le procureur ne juge pas. Il est dans le rôle de l’accusateur. Il représente l’intérêt public (en l’occurrence, celui de la communauté internationale). Et il faut redire aussi que pour le moment, la CPI n’a pas répondu à la demande de Karim Khan formulée ce lundi.