Les talibans sabotent l’aide au développement dans leur propre pays. En décidant d’interdire aux femmes de travailler dans les ONG, ils mettent des vies humaines en danger. Des millions de personnes sont déjà confrontées à la famine, et plus de la moitié de la population a besoin de l’aide humanitaire pour survivre.
«Nous allons les perdre, ils vont mourir», se désespère Inger Ashing, CEO de Save the Children International. Ces derniers jours, les premières organisations humanitaires ont retiré leurs aides aux plus démunis. Et ce, à cause de la décision du régime taliban d’empêcher les sages-femmes, les femmes médecins et les assistantes sociales de travailler.
L’Allemagne prend les devants
Que faire face à cette décision? C’est la question que se pose également la Confédération, qui investit chaque année environ 30 millions de francs dans des projets en Afghanistan. L’Allemagne, elle, a déjà annoncé qu’elle n’accorderait plus d’argent pour l’aide humanitaire au pays désormais aux mains des talibans. Une option qui fait aussi l’objet de discussions au sein du gouvernement suisse.
Pierre-Alain Eltschinger, porte-parole du Département des affaires étrangères (DFAE), confirme: «Nous avons de grandes interrogations quant à savoir comment et si, dans ces circonstances, l’importante aide d’urgence peut et doit être poursuivie.»
Ces décisions pourraient avoir des conséquences dramatiques pour la population dans le besoin. Ni la Suisse ni aucun autre Etat ne les prendront à la légère, assure Pierre-Alain Eltschinger. «La Suisse se concerte avec les pays donateurs, l’ONU et ses partenaires sur place pour la suite des opérations.»
Plusieurs entretiens avec les talibans
Le versement d’argent et le montant alloué à des projets sur place devraient dépendre de la manière dont les œuvres d’entraide pourront poursuivre leur travail en Afghanistan. Si les talibans appliquent l’interdiction de travailler sans condition, de nombreuses ONG devront cesser leurs activités.
En coulisses, les pays donateurs occidentaux tentent d’inciter les islamistes à changer d’avis. Depuis la prise de pouvoir des talibans en 2021, la Suisse a, elle aussi, eu plusieurs contacts avec les nouveaux dirigeants de Kaboul. «Le DFAE a exprimé à plusieurs reprises, directement lors d’entretiens avec des représentants des talibans, sa profonde inquiétude face à ces décisions radicales», maintient le porte-parole du Département des affaires étrangères à Blick.
Il aurait été demandé aux talibans de revenir sur des mesures visant à restreindre les droits des femmes, des filles et des minorités. En mai 2022, une rencontre personnelle entre des représentants de la Confédération et des talibans a même eu lieu à Doha, la capitale du Qatar.
Le CICR s’inquiète de l’interdiction de travailler
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) compte parmi les principales organisations humanitaires présentes en Afghanistan. Le Suisse Lucien Christen, porte-parole de l’association, est à Kaboul. «Nous sommes très inquiets de la dernière annonce des talibans», confie-t-il.
Selon lui, il est encore difficile d’évaluer l’impact de l’interdiction de travailler pour les femmes sur le travail du CICR. «Pour l’instant, toutes nos opérations se poursuivent.» Pour pouvoir continuer à fournir une aide d’urgence, la participation sans restriction des femmes est toutefois nécessaire. «Leur exclusion des tâches humanitaires aurait des conséquences catastrophiques.» La plus dévastatrice concernerait le secteur de la santé, où le travail des femmes en est la pierre angulaire. Un véritable effondrement du système risque de se produire.
En parallèle, la pression sur les talibans augmente. Après le Conseil de sécurité de l’ONU, les Etats de l’Union européenne et de douze autres pays ont demandé aux islamistes de revenir immédiatement sur leur décision d’interdire le travail des femmes dans les ONG. Nous sommes «profondément inquiets», peut-on lire dans une déclaration commune que la Suisse a cosignée.