Tout devait aller très vite. Grâce à l'aide de l'armée allemande et avec le soutien de soldats d'élite suisses, la Confédération a réussi à mettre en sécurité le personnel stationné à Kaboul, ainsi que d'autres ressortissants suisses après la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021.
La Direction du développement et de la coopération (DDC) avait géré un bureau dans la capitale afghane. Comme les talibans pouvaient considérer les employés locaux comme des collaborateurs occidentaux, il était trop dangereux pour eux de rester en Afghanistan. Les employés et leurs familles, soit 218 personnes au total, sont donc venus en Suisse avec un visa humanitaire.
Le bureau de coopération suisse est fermé à ce jour. Quatre personnes poursuivent le travail depuis la Suisse, explique à Blick Pierre Alain Eltschinger, du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Les quelque 40 employés locaux et leurs familles ont obtenu l'asile en Suisse selon une procédure simplifiée. Le DFAE ne peut pas dire combien d'entre eux sont encore dans le pays aujourd'hui.
Arrivés en Suisse avec deux sacs à dos
L'un d'entre eux, Sultan Shinwari, est un Afghan qui vit toujours en Suisse. Ce contrôleur financier de formation est arrivé dans le pays avec sa femme et ses quatre enfants. «A part deux sacs à dos remplis de vêtements, nous avons dû tout laisser derrière nous», racontait Sultan Shinwari lorsque Blick lui avait rendu visite après son arrivée dans le centre d'hébergement pour requérants d'asile de Kirchlindach (BE), en septembre 2021.
Un an plus tard, la famille vit dans son propre appartement à Jegenstorf (BE). Un retour durable n'est en effet pas envisageable pour la famille, la situation dans leur pays étant trop incertaine. Ils vont bien, rassure d'abord Sultan Shinwari. Mais il est difficile de prendre pied en Suisse. L'Afghan apprend l'allemand et cherche un emploi, en vain jusqu'à présent.
La famille perçoit l'aide sociale - une situation difficile à supporter pour Sultan Shinwari. «A Kaboul, nous donnions de l'argent aux pauvres pour acheter de la nourriture à leur famille parce que nous avions un bon travail. A présent, nous sommes des mendiants et vivons de l'aide sociale», dit-il. Il n'est pas le seul: de nombreux anciens collègues en souffrent également.
Indemnité de licenciement reversée... à Berne
Sultan Shinwari se sent abandonné par la Suisse. Le Conseil fédéral avait annoncé qu'il s'occuperait des employés locaux. La ministre de la justice, Karin Keller-Sutter, avait souligné il y a un an le devoir d'assistance de la Confédération.
Pourtant, les trois mois de salaire que Sultan Shinwari et ses collègues avaient reçus du Département des affaires étrangères en guise d'indemnité de licenciement ont dû être directement reversés au Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) à leur arrivée en Suisse.
Certains de ses anciens collègues vivraient toujours dans un centre d'asile, explique Sultan Shinwari. «Il n'y a pas d'autre soutien du DFAE», poursuit l'Afghan. Il se serait attendu à ce qu'on l'aide à trouver un emploi. Mais ce n'est pas le cas, selon lui.
«Mes enfants pensent que nous sommes des criminels»
Pour le DFAE, l'aide s'est limitée à une rencontre avec les ex-employés. Celle-ci a eu lieu en mai, neuf mois après la fuite en Suisse. La Confédération avait invoqué la pandémie pour justifier cette date tardive. En ce qui concerne l'aide à la recherche d'emploi, le DFAE renvoie aux cantons et aux communes, qui sont compétents dès réception de la décision d'asile positive.
Pour Sultan Shinwari, il est également difficile d'accepter le fait qu'en tant que réfugiés reconnus, il leur soit interdit de se rendre en Afghanistan. «Mes enfants pensent que nous sommes des criminels, que nous n'avons pas le droit de rentrer pour rendre visite à nos grands-parents, dit-il. Je me demande pourquoi le gouvernement suisse traite ainsi les personnes qui l'aident à atteindre ses objectifs en Afghanistan.»
(Adaptation par Lliana Doudot)