Certains essais sont revigorants. D’abord parce qu’ils se lisent d’un trait, ce qui est plus facile il est vrai pour les petits formats de la collection «Tracts» de l’éditeur Gallimard. Ensuite, parce qu'ils vont droit au but et ne noient pas leur problématique dans un flot de considérations gazeuses.
Bravo, Pascal Ory! Dans «Ce cher et vieux pays», son dernier livre consacré à cette France qu’il décrypte en historien depuis des décennies, l’Académicien français offre à tout lecteur soucieux de comprendre la République un aperçu pointu, enlevé, précis de la «démocratie à la française». Une démocratie qui, jamais, ne réussit selon lui à s’affranchir de la figure tutélaire et autoritaire de Napoléon 1er, cet Empereur qui accoucha aussi en partie, à travers l’Acte de médiation de 1803, de la Suisse moderne.
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Pascal Ory ne prend pas de gants. Il peut se le permettre, en universitaire respecté et en tant que membre de l’Académie.
Première phrase choc, qui permet mieux de se faire une idée de la France: «La liberté n’entre aucunement dans la définition de la démocratie, régime qui n’a à faire et ne peut avoir à faire qu’avec la souveraineté […] Les Français sont bien placés – les mieux placés – pour le savoir, eux qui, aux côtés de la photographie et du béton armé, ont inventé la démocratie autoritaire.» Pas besoin d’en rajouter.
On voit combien Napoléon veille sur le parlementarisme à la française. Avec l’assentiment d’une société «ravie d’adhérer au type de régime d’autorité qui convient aux sujets modernes, dès lors qu’il leur garantit l’ordre public, le prestige international (les contemporains parlent de «la gloire») mais aussi – on y pense moins – l’apparence de la modernité».
Bientôt, Macron en Suisse
J’espère de tout cœur qu’Emmanuel Macron, qui sera en visite d’État en Suisse les 15 et 16 novembre, emportera avec lui le volume de Pascal Ory. Car l’originalité de celui-ci est qu’il regarde du côté de l’Helvétie. Accrochez-vous, car cela va vous faire du bien, si vous êtes suisse et/ou que vous croyez dans les vertus du système helvétique.
«Tout devient clair. La Suisse n’a été inventé qu’à deux usages», note l’écrivain. «Un usage général à destination des démocraties théoriques du monde entier, et un usage particulier, à destination de la France». Bigre! Les deux pays voisins formeraient donc une sorte de pile ou face de la même monnaie politique? Juste selon l’essayiste: «A la France, la Suisse dessine une figure qui est, dans chacun de ses détails, l’exact inverse de ce qu’elle est. Compromis, coalition, décentralisation, directoire: renversez ces quatre termes et vous obtiendrez la France.»
La maladie de l’autoritarisme
Il ne s’agit pas, pour l’Académicien français, de dévaloriser le modèle français ou de mettre la Confédération sur un piédestal. La force de son essai est qu’il pointe directement, sans détour, la maladie de l’autoritarisme supposé éclairé qui ronge la République.
La présidentialisation extrême voulue par le Général de Gaulle, toujours en vigueur, n’est donc rien d’autre que le reflet de ce que veulent une majorité de citoyens. «François 1er/Robespierre/Napoléon/Jules Ferry: la monarchie unitaire ne sera pas, par hasard ou bizarrerie, chantée par le régime républicain qui range Richelieu, Colbert ou Vauban dans son panthéon scolaire», poursuit l’historien: «Un régime aussi libéral et parlementaire que la IIIe République – le premier qui par exemple pose solidement le principe de l’autonomie communale - est resté dans la mémoire nationale comme le plus unitaire qui fut, entre service militaire obligatoire et instruction publique non moins obligatoire.»
État omnipotent
Voilà qui réconforte pour tout observateur de la France et de ses soubresauts. Les éternels griefs d’une partie des Français contre un État omnipotent, qui contrôle tout (ou veut tout contrôler), ne sont pas justes les foucades de tempéraments trop libéraux, voire dangereusement influencés par le protestantisme! Comme l’a chanté Boris Vian, il y bien «quelque chose qui cloche là-dedans», dans ce «cher et vieux pays» qui donne parfois l’impression d’être déboussolé. Universités suisses, voilà un professeur qu’il convient d’inviter d’urgence à parler de l’Europe et de la France, dans le miroir helvétique. Bienvenue chez Guillaume Tell, Pascal Ory!
A lire: «Ce cher et vieux pays…» de Pascal Ory (Ed. Gallimard)