Courageux, héros, et traître
Le maréchal Ney, ce grognard de Napoléon qui fabriqua la Suisse

Dans sa biographie de l'un des maréchaux les plus valeureux de Napoléon 1er, Franck Favier brosse le portrait d'un cavalier téméraire qui marqua l'histoire de France. Et aussi celle de la Suisse moderne.
Publié: 30.04.2023 à 15:35 heures
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Dernière mise à jour: 30.04.2023 à 22:01 heures
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L'Empereur Napoléon 1er rencontre le diplomate autrichien Metternich en juin 1813. Metternich sera ensuite l'architecte du Congrès de Vienne qui aboutira sur les frontières modernes de la Suisse.
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Richard WerlyJournaliste Blick

«La Suisse heureuse et tranquille par la médiation ne séparera pas votre nom de celui du médiateur lui-même […] un bienfait attache celui qui le donne comme celui qui le reçoit: nous ne craignons donc pas d’être oublié de vous.» Le comte fribourgeois Louis d’Affry est, en décembre 1803, le premier Landamann (chef de l’État) suisse nommé par le premier consul Napoléon Bonaparte. Le destinataire de son courrier est Michel Ney, général de cavalerie de 32 ans arrivé quelques mois plus tôt à Genève pour y mener «une mission importante auprès des autorités helvétiques».

1802-1803, année décisive

La lettre de d’Affry conclut une année décisive pour ce qui deviendra la Confédération suisse telle que nous la connaissons aujourd’hui. La parenthèse s’est alors refermée sur la première République helvétique, proclamée par le Directoire le 12 avril 1798, suite à la guerre victorieuse des «cinq jours» menée par l’armée révolutionnaire du Général Brune et à l’insurrection anti-française du canton de Zurich. La guerre civile qui déchire les cantons suisses a finalement trouvé son épilogue. Sur les bords de la Limatt, les chefs des insurgés, arrêtés, ont été emprisonnés puis libérés. À Berne, un Sénat a pu se réunir et le lorrain Michel Ney, germanophone, y a imposé l’ordre de Paris à la tête de ses troupes.

Le 10 décembre 1802, Bonaparte a proclamé l’égalité des droits entre les dix-neuf cantons de l’époque, la renonciation aux privilèges des grandes familles aristocratiques, et la création d’une fédération. Le 19 février 1803, l’Acte de médiation a fixé le sort d’une nouvelle République Helvétique. La Suisse devient une confédération de 19 cantons qui conservent chacun leurs constitutions. Avec, dans sa corbeille de naissance, ces mots du futur Empereur (Napoléon sera sacré un an plus tard, le 2 décembre 1804): «La Suisse ne ressemble à aucun autre État, soit par les événements qui s’y sont succédé depuis plusieurs siècles, soit par la situation géographique, soit par les différentes langues, les différentes religions, et cette extrême différence de mœurs qui existe entre ses différentes parties. La nature a fait votre État fédératif. Vouloir la vaincre n’est pas d’un homme sage.»

«Le brave des braves»

Pourquoi associer le maréchal Ney, que Napoléon nommait son plus formidable «héros de champ de bataille» ou «le brave des braves», à la naissance de la Suisse moderne? Parce que dans la biographie passionnante que lui consacre l’historien Franck Favier, ce fait d’armes politico-diplomatique est presque le seul moment de réussite civile du cavalier connu, le 18 juin 1815, pour ses charges répétées contre les lignes anglaises à la bataille de Waterloo. La vie de cet officier issu d’une famille de Nancy, devenu général par la grâce de la révolution française, est une longue traînée de champs de bataille, de sang versé, de charges héroïques et de victoires arrachées sabre au clair. Ney n’était pas présent, le 2 décembre 1805, à la bataille d’Austerlitz qui marque l’apogée du premier Empire. Mais il est à Eylau deux ans plus tard, en décembre 1807. Il charge sans cesse. Ses chevaux meurent sous lui. Il se relève. Il protégera ensuite, dans les steppes enneigées de Russie en septembre 1812, l’arrière-garde de la débâcle Napoléonienne à la Moskova. Ney est le cosaque de l’Empereur.

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Mais Michel Ney est tout sauf politique. Le maréchal fougueux est une tête brûlée qui ne sait pas non plus commander de corps d’armée. Il est l’homme des poussées furieuses, lorsque le galop de milliers de chevaux fait trembler le sol et les troupes d’infanterie. Jamais, après 1803, il ne sut retrouver ce calme et cette dextérité qui, dans l’univers somme toute familier de la Suisse, pas si loin de la Lorraine, aboutirent à la naissance de la Confédération moderne, sanctifiée et élargie ensuite par le Congrès de Vienne et les puissances coalisées en 1815. Sur les terres helvétiques, face à des insurgés tenaces. «Avec nous, déclare-t-il le 25 juin 1803 lors de la séance d’ouverture de la Diète à Berne, les Suisses ont pu commencer à avoir une lueur d’espérance (...) Si leur attente n’a pas été justifiée plus tôt, c’est que les plaies profondes de la révolution française ne pouvaient cicatriser tout d’un coup.»

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Le livre de Franck Favier est, au fond, le récit d’une descente aux enfers d’un formidable militaire qui, jamais, ne sut dompter sa fougue et ses élans. Ney fut l’âme damnée de l’Empereur avant de le trahir, promettant même au Roi Louis XVIII de ramener Napoléon «dans une cage de fer» lors de son retour de l’île d’Elbe. Puis, il trahit la monarchie pour se rallier à ce Bonaparte qui fit sa carrière et sa légende, avant de chercher en vain à mourir sous les balles et les obus de Wellington, à Waterloo.

En Suisse, Ney fut brièvement un homme d’État. Tout le reste de sa vie, il fut un sabre, une épée, un soudard. Le 7 décembre 1815, douze ans après la fameuse lettre du Landamann D’Affry, Michel Ney est fusillé à Paris pour «haute trahison», après le retour des Bourbons et l’exil de Napoléon à Sainte-Hélène. Il aurait pu s’exiler lui aussi, aux États-Unis. Il préféra rester en France et se cacher, en vain, vaincu par son inconstance et son courage.

À lire: «Le maréchal Ney» par Franck Favier (Ed. Perrin)

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