ACAB: «All Cops are Bastards». Importé des Etats-Unis et véhiculé par les séries télévisées, le slogan guerrier barre la façade vitrée d’un magasin, juste à côté du cinéma Méliès, connu dans tout Paris pour sa programmation de qualité. Montreuil, 110'000 habitants, est l’archétype de la grande ville de banlieue que la bourgeoisie bohème parisienne prend d’assaut depuis des années. Les rues du centre-ville de cette municipalité, toujours dirigée par un maire communiste, se sont «gentrifiées».
Mais cette nuit, alors que les trois heures du matin approchent, Montreuil est enragé. Pas tout le monde. Juste eux: ces poignées de jeunes cagoulés, vêtus de joggings noirs, en train de jeter le contenu d’une seconde poubelle sur un premier tas de déchets enflammés. Les flammes lèchent une façade. Les policiers antiémeutes restent au loin. Sur le mur de la mairie, un tag rageur annonce: «Vengeance pour Nahel».
L’ampleur de l’embrasement
J’ai choisi de venir voir Montreuil en pleine nuit pour bien comprendre l’ampleur de l’embrasement qui a suivi la mort de ce garçon de 17 ans tué mardi matin à Nanterre par le tir d’un policier lors d’un contrôle. Nanterre est à l’opposé de Montreuil. La première règne sur l’ouest de Paris, au pied du quartier d’affaires de la Défense. La seconde est à l’est, bastion de l’ex-banlieue rouge. Sauf que les deux ont brûlé, cette nuit, de la même haine et des mêmes flammes.
Je me suis arrêté pour parler à ces jeunes, barres de fer à la main, plantés devant la mairie, les yeux rivés sur les unités de policiers prêts à charger. Un seul mot: la haine. Comme dans le film du même nom de Mathieu Kassovitz. Vous vous souvenez de la séquence, «Jusqu’ici, tout va bien… » qui annonçait l’escalade. Et bien rien ne va plus. Un groupe de pillards sort d’un magasin avec des cartons sous les bras. Ils passent devant moi. Pas d’agressivité. Ils rient. Ils veulent «niquer les flics». En faisant le maximum de casse.
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Un restaurateur asiatique a préféré dormir dans son bar à sushis. Un cafetier maghrébin a opté, lui, pour quelques gros bras recrutés localement, postés devant sa devanture intacte. Le reste? Le rideau de fer d’un commerce vient d’être forcé. Un jeune, capuche ramenée sur le visage et foulard jusqu’aux yeux, tape avec sa barre de fer sur un panneau de signalisation arraché. On est en pleine nuit et le vacarme réveille tout le monde.
J’entends un: «C’est la guerre. Les flics, ont vous enc…», puis un bruit infernal de raclement sur le bitume. Une dizaine de jeunes traînent derrière eux des barrières. Ils se vantent d’avoir brûlé un véhicule deux rues plus bas. J’y vais. Personne ne m’agresse. Un autre motard slalome, comme moi, entre les poubelles enflammées. C’est juste. Le cadavre d’une petite Renault incendiée barre la rue. Un riverain affirme qu’elle a brûlé pendant dix bonnes minutes. Puis les pompiers sont arrivés. Mais la voiture est toujours là.
Organisés en commandos
Tous les volets sont fermés. Personne, dans ce quartier de la mairie de Montreuil d’habitude animé, n’ose mettre le nez dehors. Les jeunes rebelles, les «vengeurs de Nahel», sont d'ici. De ces immeubles. De ces cités. Ils sont organisés en commandos. Ils veulent casser. Voler les excite. Ils veulent surtout que les policiers répondent. En vain.
Dans la nuit, plusieurs centaines d’interpellations ont eu lieu à travers la France. A Nanterre, la «marche blanche» en hommage à Nahel s’est achevée dans un bain de gaz lacrymogènes. Rien de cela ici. On arrache. On casse. On plastronne devant les flics, butin sous le bras. «Nique la police» et «mort à la police» sont le cri de ralliement. Les couvre-feux locaux, dans plusieurs villes, n’ont pas empêché les émeutes. La proclamation de l’État d’urgence, comme en 2005, pourrait intervenir dans les prochaines heures. Cette jeunesse-là n’est, ces jours-ci, violente qu’avec les flics. Elle ne parle pas. Chacun évite de répondre aux questions.
Comme toutes les villes défigurées par les violences urbaines depuis deux jours, Montreuil est prise en otage. En attendant la nuit prochaine.