J’ai l’impression de réécrire le même article à chaque fois. Et cela dure depuis près de vingt ans. Je me trouvais à Paris en octobre 2005, lorsque les banlieues se sont embrasées, à la suite de la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré.
Dans leur quartier de Clichy-sous-Bois, au nord-est de Paris, ces deux adolescents avaient eu le tragique réflexe de se cacher dans le local d’un transformateur électrique, pour échapper à un contrôle de police.
Adama Traoré en 2016
J’ai l’impression que cela ne finira jamais, comme lors de la mort d’Adama Traoré, 24 ans, décédé d’un problème cardiaque le 19 juillet 2016, dans une gendarmerie du Val-d’Oise, peu après son arrestation au terme d’une course-poursuite. Depuis, cette affaire mine les rapports entre la police et la jeunesse. En juillet 2021, trois gendarmes ayant participé à cette interpellation controversée ont même été décorés.
2005-2023: vingt ans séparent l’insurrection urbaine qui avait conduit le président Jacques Chirac à décréter l’état d’urgence, de la nuit de violence qui vient de secouer plusieurs quartiers sensibles de la région parisienne.
A l’origine de cette colère anti-flics, qui s’est soldée par 31 interpellations, 24 policiers blessés et une quarantaine de véhicules brûlés? La mort de Naël, un garçon de 17 ans, abattu par le tir d’un motard mardi matin à Nanterre (ouest de Paris), alors qu’il redémarrait au volant d’une Mercedes. Le policier a été placé en garde à vue pour «homicide volontaire». «J’ai mal à ma France», a tweeté le capitaine de l’équipe de France de football, Kylian Mbappé.
Terrible engrenage
Le pire est que l’engrenage est toujours le même. Et qu’il pose, in fine, toujours les mêmes questions dans une France des grandes métropoles qui ressemble de plus en plus aux États-Unis, au vu de nombre de violences et d’altercations opposant des jeunes aux policiers.
La vérité est que la police française, malgré les plans qui se sont succédé depuis les émeutes de 2005, n’est jamais parvenue à changer ses méthodes, face à un environnement social toujours plus agressif.
Avec, à la clé, trois échecs patents: l’impossible retour d’une police de proximité capable d’apaiser les tensions au lieu de les exacerber, la lutte trop inégale contre les narcotrafiquants qui gangrènent les quartiers et les problèmes récurrents de formation des forces de l’ordre, où le recrutement en masse voit de nombreux policiers pas assez expérimentés perdre le contrôle en cas de tensions avec les jeunes.
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L’impossible retour d’une police de proximité
C’est l’un des termes les plus utilisés par les autorités françaises. Dès son arrivée au ministère de l’Intérieur en juillet 2020, Gérald Darmanin, 40 ans, a de nouveau revendiqué la proximité comme la solution pour un retour au calme dans les quartiers difficiles.
L’idée est simple: rassurer les habitants, aider au retour des commerces dans les zones sensibles, protéger les établissements scolaires et les infrastructures publiques, quadriller le terrain pour empêcher les plus jeunes d’être enrôlés dans des bandes. Une nouvelle loi supposée définir les contours de la police en 2030 a même été promulguée le 24 janvier dernier. Elle prévoit de doubler la présence des policiers et des gendarmes sur le terrain durant les sept prochaines années.
Sauf que le climat et l’état social des quartiers le plus souvent théâtre de violences urbaines ne permet pas un tel déploiement. Les commissariats sont assiégés, retranchés derrière des grilles épaisses. Les patrouilles de police peuvent virer au drame, comme lorsque deux policiers ont été gravement blessés par des jets de cocktails Molotov, en octobre 2016, sur la commune de Grigny, au sud de Paris.
Dans le cas du drame de Nanterre, le jeune de 17 ans, au volant d’une Mercedes, avait refusé d’obtempérer lors d’un contrôle matinal par deux motards près de la station de RER Nanterre-Préfecture, derrière le quartier d’affaires de la Défense. Une vidéo montre qu’il n’aurait pas foncé sur ces derniers. Son embardée a-t-elle été mal interprétée?
Retrouvez la vidéo des émeutes sur France 24
La lutte trop inégale contre les trafics et la violence
Il faut ouvrir les yeux, tout en évitant les amalgames: de nombreux quartiers français – sans être des «zones de non-droit» – présentent des risques importants pour les forces de l’ordre qui, à tout moment, peuvent être prises à partie ou agressées. En cause: les trafics de stupéfiants et la recrudescence des incivilités en tout genre. Attention, le cas du jeune Naël à Nanterre, désormais dans les mains de la police des polices, va devoir être disséqué.
Mais la transformation de la France est une réalité. En 2006, une enquête menée par le Centre d’analyse stratégique pour comprendre les ressorts des émeutes de l’année précédente avait défini quatre types de violences collectives en milieu urbain: les conflits entre gangs, les phénomènes de débordement, les affrontements ethniques, les conflits dirigés contre les autorités publiques.
Cela a-t-il diminué depuis? Non. «L’ensauvagement» d’une partie de la société, dénoncé par Gérald Darmanin, est ce que les policiers affirment vivre au quotidien, même si les statistiques ne démontrent pas d’embrasement du pays. «Si on analyse les chiffres des dix dernières années, il n’y a pas d’évolution notable en France. Le nombre d’homicides reste stable, à 1,4 pour 100'000 habitants», affirme-t-on au ministère de l’Intérieur. Sauf qu'en réalité, l’agressivité quotidienne, les risques d’altercations, eux, ont nettement augmenté.
Retrouvez Le ministre Gérald Darmanin sur les trafics
Les problèmes récurrents de formation des policiers
«On a une vraie difficulté.» Cette phrase a été prononcée en 2020 par le directeur général de la police dans un entretien au quotidien «Ouest France». Pas étonnant. Le recrutement de nombreux agents à la suite des attentats de 2015, et compte tenu du climat de violence, n’a pas été suivi d’une adaptation des structures de formation.
Devant l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur a dû admettre en 2020 que l’idée de réduire la formation initiale des gardiens de la paix de douze à huit mois était une erreur. Il a parlé du «premier des sept péchés capitaux qui plombent la police nationale».
Huit mois pour former un policier confronté ensuite aux pires réalités de la société française, suivis de seize mois durant lesquels les élèves gardiens de la paix sont suivis par un tuteur et continuent de suivre des formations à distance.
Les syndicats policiers sont les premiers à s’indigner: «Prendre une voiture en chasse, gyrophare allumé, cela s’apprend. Tout comme l’attitude à avoir lors d’un barrage ou d’un contrôle. Idem pour les techniques de défense d’intervention. Lorsque la formation durait douze mois, 120 heures étaient consacrées à ces techniques. Désormais, elles ont été réduites à 72 heures», rappelait ce mercredi un délégué d’Alliance, l’un des principaux syndicats.