La France blessée a trouvé ses héros. Et ce dimanche, sur les lieux de l’attaque au couteau perpétrée le 9 juin au matin par un migrant syrien d’une trentaine d’années, cette France a décidé de leur dire merci. Des centaines de personnes se sont retrouvées sur l’esplanade du parc du Pâquier, au bord du lac qui borde la ville alpine d’Annecy, pour célébrer ce moment de solidarité qu’a été la tragédie durant laquelle, en quelques minutes, quatre enfants ont été blessés gravement au couteau.
La plus jeune des victimes avait 22 mois. L’agresseur, interpellé sur place, a été mis en examen samedi 10 juin pour «tentative d’assassinat». Mais ce n’est pas le visage de la justice qu’ont voulu montrer, en cette matinée dominicale, tous ceux qui avaient fait le déplacement. C’est le visage du courage et de la fraternité, dans un pays où l’on souligne d’habitude surtout les fractures et les colères.
Deux noms se percutent dans les médias français depuis que, jeudi matin, la France entière a suivi la tragédie d’Annecy, retransmise presque en direct dès l’intervention des secours. Le premier est celui d’Abdalmassih H.. un SDF de 31 ans qui vivait dans les rues de la ville depuis l’automne, soudain transformé en agresseur d’enfants, un couteau à la main.
Le fait qu’il soit chrétien syrien, et non musulman, a contribué à limiter les polémiques qui se sont tout de suite enflammées. Ce trentenaire avait servi dans l’armée syrienne. Il avait obtenu l’asile en Suède où vivent sa femme et son enfant de trois ans, le même âge qu’une de ses victimes.
Très agité durant sa garde à vue selon la police, il n’a pas expliqué son geste. Mais il est aujourd’hui le symbole de ce que de nombreux Français redoutent: une explosion de colère irrépressible de la part de migrants trop laissés à eux-mêmes sur le sol français, sans encadrement. L’homme n’était pas un clandestin sans papiers. Il avait le droit de séjourner en France où sa demande d’asile avait été logiquement refusée.
Le deuxième nom est un prénom. Il s’agit d’Henri, un jeune homme barbu, au visage doux, qui se trouvait à 9h40, pile au moment du drame, aux abords du jardin d’enfants du parc du Pâquier. Voilà, à travers Henri, l’héroïsme ordinaire que la France aime célébrer et dont elle a besoin dans ces douloureuses circonstances.
Le jeune homme a tenté de s’interposer à plusieurs reprises entre l’agresseur et ses victimes. Il a utilisé son sac à dos pour le rouer de coups et l’éloigner. Henri est un jeune pèlerin chrétien, qui visitait la France au fil de ses cathédrales. Quel symbole! Un chrétien d’Orient devenu assassin sous une influence qu’il faudra déterminer. Un chrétien français qui «répond à sa force intérieure» et sauve des vies humaines, jusqu’à l’arrivée des policiers municipaux et des premiers secours. Dans cette République laïque qu’est la France, profondément attachée à la séparation entre l’État et les religions, ce choc des itinéraires est éloquent.
Une célébration de l’héroïsme ordinaire
L’autre aspect le plus frappant de cette matinée dominicale dans la préfecture de Haute-Savoie est la célébration de l’héroïsme ordinaire. Dans un passé récent, plusieurs tragédies ont eu, aussi, leurs héros ordinaires. Le 14 juillet 2016, un jeune homme, Alexandre N., lance son scooter contre le camion fou qui va tuer 86 personnes et faire plus de 400 blessés à Nice.
Quelques mois plus tôt, Lassana Bathily, jeune migrant Malien, avait réussi à s’échapper du magasin Hypercacher de la porte de Vincennes à Paris, pris en otage par Amedy Coulibaly, un ex-détenu, musulman radicalisé. On pense aussi à Mamadou Gassama, un jeune homme venu au secours d’un enfant prêt à tomber du balcon d’un immeuble à Paris, en 2018. Henri, Alexandre, Lassana, Mamadou… à chaque fois, la France a trouvé ses héros face à l’incarnation du mal et de la douleur. «Je suis très fier de vous» a lancé Emmanuel Macron vendredi 9 juin à Annecy. Un éloge présidentiel partagé par l’ensemble de la nation.
L’engrenage des colères
Il n’y a pas qu’en France que des héros ordinaires se dressent pour dire non au pire. Mais dans cette République sans cesse aspirée dans l’engrenage des colères, ce moment d’humanité pèse peut-être plus lourd qu’ailleurs. Dimanche, sur l’esplanade du parc du Pâquier à Annecy, les centaines de personnes présentes ont voulu montrer «un signe fort d’union et de solidarité».
Alors que l’immigration est un sujet explosif en France comme dans le reste de l’Europe, et alors que le pays peine à sortir de la bataille sociale autour de la réforme des retraites, cette union et cette solidarité sont une bonne nouvelle. Elles disent qu’une révolte positive est toujours possible dans ce pays si épris de révolutions.
Abdalmassih H. voulait sans doute, par son geste et sa haine, blesser la France au plus profond. Quatre enfants de moins de trois ans (dont deux étrangers) et deux adultes ont failli perdre la vie. Mais la folie meurtrière ne l’a, in fine, pas emporté. À Annecy, la France s’est relevée. Et, comme lors de l’année 2015 ensanglantée par les massacres de Charlie Hebdo et du Bataclan, elle se tient debout face à l’épreuve.