Auteur de l’attaque au couteau contre un groupe d’enfants à Annecy survenue jeudi matin sur une aire de jeux du parc du Pâquier, Abdalmasih H. est âgé de 31 ans. Il vivait depuis quelques semaines dans les rues de la préfecture de Haute-Savoie. Il espérait décrocher l’asile politique en France, alors qu’il l’avait obtenu en Suède, où il avait vécu durant dix ans avec son épouse restée sur place, après son arrivée en Europe en 2013.
Père d’un enfant de trois ans, ce chrétien syrien qui avait servi dans l’armée gouvernementale n’était donc pas un clandestin sur le sol européen. Il disposait d’un titre de séjour valable jusqu’en 2025. Il pouvait demeurer en toute légalité, pour des séjours limités à trois mois maximum, dans un autre pays de l’espace Schengen. Il avait aussi, a-t-on appris, déposé une demande d’asile en Suisse. Laquelle lui avait été refusé le 4 juin, pour le même motif invoqué par les autorités françaises: son titre de séjour suédois valide.
Il vagabondait en France
L’itinéraire de ce migrant syrien, et le fait qu’il vagabondait en France malgré sa régularisation en Suède (où il n’avait pas obtenu la naturalisation), est emblématique du labyrinthe administratif de l’accueil des étrangers au sein de l’espace Schengen. Même si leur chance d’obtenir l’asile dans un autre pays après avoir reçu un premier titre de séjour est quasi-nulle, beaucoup essaient tout de même, encombrent les procédures, compliquant d’autant plus la donne que, jusque-là, les réglementations ne sont pas toutes les mêmes dans les pays européens.
Retrouvez l’intervention d’Elisabeth Baume Schneider à Luxembourg
Or la coïncidence du calendrier ne pouvait pas être plus symbolique. Jeudi 8 juin, alors que deux des quatre enfants blessés au couteau restaient entre la vie et la mort, un accord est enfin survenu entre les 26 pays membres de l’espace Schengen, dont la Suisse.
A Luxembourg, où la Confédération était représentée par la Conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, les ministres sont parvenus à un accord majeur sur le pacte «Asile et migrations» visant à réformer les procédures européennes pour la première fois depuis le début des négociations en 2016. L’accord en question modifiera, s’il entre en vigueur après acceptation du parlement européen, la manière dont les demandeurs d’asile sont traités à la frontière et la manière dont ils sont relocalisés à travers l’Europe.
Des renvois plus automatiques
Premier point, crucial: une plus grande automaticité des renvois. Les pays européens qui ont la charge de traiter les demandes d’asile sur le lieu d’arrivée des migrants bénéficieront d’une assistance européenne pour l’expulsion de tous ceux dont les dossiers ont été rejetés. Ces renvois pourront en outre être effectués vers des États dont les migrants ne sont pas originaires, s’il est avéré qu’ils ont transité par leur territoire pour tenter leur chance en Europe.
En clair: la Tunisie, pays de transit, devra accepter les migrants non tunisiens qui ont embarqué vers l’Europe à partir de ses rivages. Le cas tunisien est essentiel pour l’Italie, qui bloquait jusque-là les négociations.
Second point: la procédure de traitement des demandes d’asile à la frontière sera la même partout et elle sera limitée à six mois au maximum entre l’examen de la demande, son acceptation ou le retour en cas de rejet. Même les familles avec des enfants de moins de 12 ans pourront être expulsées.
Et pour rendre encore plus difficile l’accession au territoire européen, une discrimination sera officialisée. Pour tous les ressortissants de pays pour lesquels moins de 20% des demandes d’asile sont jugées recevables, l’entrée sur le territoire de l’UE ne sera pas considérée comme effective. Une fiction légale sera créée le temps de la procédure: les migrants concernés seront cantonnés dans des «hot spots» ne donnant pas droit à une quelconque assistance juridique. Cette nouvelle procédure baptisée AMMR remplacera à terme l’actuel règlement de Dublin.
Plafonnement des capacités d’accueil
Troisième point: les pays de l’espace Schengen, dont la Suisse ont accepté le principe d’un plafonnement des capacités d’accueil dans les pays de première arrivée. Sitôt cette capacité d’accueil atteinte, les migrants seront automatiquement relocalisés. L’Italie a obtenu une limite à 60’000 lits la première année alors que plus de 42’000 personnes sont déjà arrivées sur ses côtes depuis janvier 2023, venant surtout de Guinée, de Côte d’Ivoire et du Pakistan, selon l’agence Frontex.
«Le compromis adopté prévoit que les autres États devront fournir un soutien – financier ou en personnel – aux États situés aux frontières extérieures de Schengen ou en prenant en charge des requérants d’asile, note le communiqué du Département fédéral Justice et Police (DFJP). Une procédure de retour sera immédiatement engagée pour les personnes déboutées à la frontière, dans le but d’éviter une migration secondaire irrégulière dans l’espace Schengen.»
«Le principe d’un mécanisme de solidarité sera inscrit pour la première fois dans les textes juridiques. Jusqu’à présent, les États Schengen ne s’étaient jamais prononcés qu’au cas par cas pour soutenir les États aux frontières extérieures […] La Suisse ne sera pas tenue de reprendre ses mesures dans son droit national. Elle n’en soutient pas moins l’idée de procédures accélérées, dont elle a elle-même l’expérience. Elle a assuré ses partenaires européens de son intention de se montrer solidaire», complète le communiqué.
Le cas de Abdalmasih H.
Le cas de Abdalmasih H. aurait-il été traité différemment si ces mesures avaient été en place lors de son arrivée sur le sol européen en 2013? Difficile à dire, car la Syrie était alors un pays en guerre dont les ressortissants obtenaient l’asile. Un élément toutefois aurait sans doute été différent: si le système de traitement de l’asile avait été unifié – comme ce nouveau règlement propose de le faire – il ne lui aurait même pas été possible de déposer une demande en France et en Suisse.