Il est le maître Yoda de la politique française. Une gueule. Un savoir-faire parlementaire et institutionnel acquis au cours de ses six mandats de député de la 5e circonscription de la Marne. Une réputation désormais internationale, puisque même le «New York Times» lui a consacré un article. Ce 8 juin, Charles du Buisson de Courson (Charles de Courson pour ses électeurs et pour l’Assemblée nationale) est l’homme contre lequel est assuré de buter Emmanuel Macron.
Pas de sabre laser pour ce parlementaire indigné de voir l’exécutif priver son groupe LIOT (Liberté, Indépendants, Outre Mer et Territoires) de la possibilité de faire voter les députés sur l’abrogation de la loi controversée sur la réforme des retraites. Mais une arme encore plus efficace: la défense de l’équilibre des pouvoirs dans un pays où le législatif a toujours été à la remorque du gouvernement.
Charles de Courson, 71 ans, n’est pas seul à mener cette bataille. L’autre maître Yoda de l’Assemblée nationale se nomme Bertrand Pancher, député de la Meuse, partisan d’un recours beaucoup plus fréquent au référendum pour «démocratiser» vraiment la France. Blick l’avait rencontré à ce sujet. C’est ce jeudi matin, en théorie, que ces deux parlementaires expérimentés, partisan d’un pouvoir législatif réellement capable de contrôler l’action du gouvernement, devait obtenir leur moment de gloire. Par le truchement compliqué d’un projet de loi (refusé) puis d’un amendement (écarté par la présidente de l’Assemblée nationale), leur objectif symbolique était d’imposer un vote sur la réforme des retraites adoptée à la mi-mars grâce à la procédure d’urgence de l’article 49.3 de la Constitution.
«Malaise démocratique»
Pour rappel: les députés français n’ont pas voté sur ce texte. Ils n’en avaient examiné que trois articles en première lecture, avant que le Sénat l’adopte, et que le projet de loi revienne à l’Assemblée. Et là, tout est parti de travers pour Emmanuel Macron et sa Première ministre Élisabeth Borne. Redoutant de perdre un vote, et faute d’une majorité absolue de députés, tous deux ont décidé de passer en force. Une motion de censure du gouvernement déposée ensuite par le groupe LIOT le 20 mars a été rejetée. Le fameux report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans au lieu de 62 a pu être sauvé par cette procédure.
Vous pensez que ce labyrinthe institutionnel est trop compliqué? Et bien, pour Charles de Courson Yoda, c’est le contraire. Cet héritier d’une famille d’aristocrates sait, par définition, ce que les privilèges signifient. Il est de droite. Il a, dans le passé, défendu le projet d’une réforme des retraites pour partir à 65 ans, donc plus tard que le texte dont les premiers décrets d’application viennent d’être publiés.
Ce n’est donc pas sur le fond de cette réforme socio-économique que Charles de Courson est en désaccord. Ce qu’il dénonce, c’est la méthode. «Le roi Emmanuel Macron est nu argumente-t-il. Tout le discours sur l’émergence d’un nouveau parlementarisme à la française après les législatives de juin 2022 et l’absence de majorité absolue pour le camp présidentiel était un leurre. Si le président pouvait gouverner par ordonnances, il le ferait. C’est ça qui est inacceptable à l’heure où les Français sont en plein malaise démocratique».
Je lui ai rétorqué ce qu’on sait: le chaos à l’Assemblée, le spectacle lamentable donné par l’opposition de gauche radicale, l’embuscade des 89 députés du Rassemblement national, la nécessité de réformer la France, le bon point de l’agence de notation financière Standard and Poors qui vient de maintenir sa note AA… Et si Macron avait raison? «Non répond-il. On n'a pas raison quand on brutalise le pays et les institutions. On crée au contraire les conditions d’une brutalité non démocratique dans la société.»
Il est surnommé «le moine»
Charles de Courson est, dans les travées de l’Assemblée nationale française, surnommé «le moine». On le sent galvanisé par cette croisade pour un Parlement fort et respecté. Ses anciens amis de la droite (il a soutenu Nicolas Sarkozy et intégra même l’équipe du candidat à la présidentielle François Fillon, battu au premier tour en 2017) estiment qu’il a perdu ses repères, qu’il n’est pas du tout le «sage» de la République qu’il prétend être.
Sauf que son itinéraire est difficilement contestable. Son CV institutionnel est impeccable. Sa connaissance des mécanismes législatifs aussi. En Italie, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse... bref, dans tous les régimes parlementaires, son raisonnement serait entendu. Mais dans la France héritière de Napoléon Bonaparte et Charles de Gaulle, l’exécutif est roi. La Constitution donne au président français encore plus de pouvoirs que celui des États-Unis. «La France est-elle une démocratie moderne et apaisée? Non», poursuit-il. Pourquoi? «Parce que les électeurs se sentent dépossédés après avoir voté.»
Un habitué de la chaîne parlementaire
Maître Yoda sort de son calme, résolu à mener son ultime combat contre «le coté obscur de Jupiter», le surnom donné au président français deux fois élu. Puis il se rassoit sur le plateau de la chaîne parlementaire dont il est aujourd’hui un habitué. Il dit sa déception de voir la présidente de l’Assemblée nationale prise en otage par l’exécutif et contrainte d’empêcher le vote. Il sait que, de toute façon, l’abrogation de la réforme des retraites n’aurait pas eu lieu. Le Sénat l’aurait bloqué. Même pas sûr que son amendement aurait obtenu une majorité.
Yoda redevient serein. Il réajuste son costume et son éternelle cravate. Il se remet à sourire. Une nouvelle motion de censure contre le gouvernement va être déposée. Charles de Courson est en colère. Pour lui, et pour tous ses disciples députés, Emmanuel Macron est en train de voler la part de lumière de la République: la démocratie représentative et le débat parlementaire.