L’argent public ne règle pas tout. Au contraire. Lorsqu’elles sont mal distribuées, les aides de l’Etat sur un sujet aussi complexe que la déradicalisation et la lutte contre la propagande islamiste sur les réseaux sociaux peuvent devenir contre-productives.
C’est en effet la stratégie mise en place par le gouvernement français pour endiguer l’influence de l’islam radical auprès des jeunes qui se retrouve discréditée, ou en tout cas affaiblie, après la démission d’un préfet dans l’affaire du fonds Marianne, suite à la publication d’un rapport accablant. De nouvelles auditions sont prévues au Sénat les 13 et 14 juin. Et le Parquet national financier a ouvert une information judiciaire.
La laïcité, mal défendue
Le préfet démissionnaire est Christian Gravel, 49 ans. Proche de l’ancien Premier ministre Manuel Valls, ex-collaborateur du président socialiste François Hollande, il dirigeait le comité interministériel de prévention contre la délinquance, la radicalisation et les dérives sectaires. En clair: il était en France l’un des premiers gardiens de la laïcité, ce pilier de la République depuis la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat voici plus d’un siècle, en 1905. C’est à ce titre qu’il avait la responsabilité de la distribution de l’argent public investi pour la défendre. Et notamment, celle de ce fonds Marianne créé en 2021 et doté de deux millions d’euros pour «soutenir des acteurs de la lutte contre la radicalisation notamment en ligne».
Marianne: le nom de l’égérie de la République, celle dont les statues ornent toutes les mairies de France, est un symbole. Ce fonds devait incarner la contre-offensive du pays et de ses institutions républicaines après le meurtre de l’enseignant Samuel Paty le 16 octobre 2020, par un jeune tchétchène radicalisé. La victime était la cible d’activistes islamistes pour avoir parlé, en classe, des caricatures de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo sur Mahomet et les musulmans. Les événements qui ont conduit à l’assassinat de ce professeur, après le massacre d’une partie de la rédaction du journal le 7 janvier 2015 et une série d’attaques menée par des agresseurs radicalisés, sont racontés dans le détail dans le livre tout juste paru «Les derniers jours de Samuel Paty» (Ed. Plon).
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Or l’histoire du fonds Marianne dit aujourd’hui l’inverse: une administration mal gérée, minée par les réseaux et copinages, où certaines subventions (17 projets au total) ont apparemment servi à récompenser des activistes certes connus pour leur engagement public anti-islamisme, mais peu actifs dans le domaine visé. Il met aussi en cause, par ricochet, la ministre Marlène Schiappa, figure de proue de la majorité présidentielle. Connue pour avoir récemment donné un entretien choc à la revue érotique «Playboy», celle-ci était en charge de ce fonds. En résumé? D’un côté, l’Islam et ses dérives fanatico-meurtrières. De l’autre, la loi du buzz et quelques «arrangements» de personnes. Avec, au milieu, l’argent d’un Etat français manipulé, dupé, utilisé.
L’affaire du fonds Marianne s’est logiquement retrouvée dans le radar des médias. Il s’agissait en effet de montrer publiquement la volonté publique de s’attaquer à l’une des racines du mal islamiste au sein d’une partie de la jeunesse: l’influence des activistes musulmans radicaux sur le web, et à travers tous les supports numériques. Les erreurs de gestion constatées dans l’attribution des aides font d’autant plus mal que d’autres affaires ont précédemment secoué l’administration française sur ces sujets.
Suite aux attentats islamistes de 2015, plusieurs associations ont été subventionnées par les pouvoirs publics. «Plus de 100 millions d’euros, sur trois ans, l’équivalent du budget annuel du palais présidentiel de l’Elysée. Une manne qui attire logiquement de nombreuses entreprises et associations. Aujourd’hui, près de 80 structures travaillent sur ce nouveau marché» détaillait dès 2016 une enquête de Radio France.
Qui contrôle les associations?
Or qui contrôle ces associations supposées proposer des formations sur la détection des «signaux faibles», la laïcité ou la propagande jihadiste?» Et sur quels critères des fonctionnaires souvent éloignés des réalités de l’islam de France peuvent-ils les juger? «Plus on avançait, plus on se rendait compte qu’il y avait des associations qui s’étaient engouffrées dans le créneau parce que ça rapporte de l’argent, et que ces associations faisaient n’importe quoi» tranchait, dans un rapport publié en 2017, la sénatrice écologiste, Esther Benbassa.
Avant d’avertir: «La concertation pour mettre en place ces dispositifs a manqué, tout autant que leur évaluation afin d’éviter à temps les écueils rencontrés». De quoi faire écho aux remarques désabusées de certains militants déradicalisateurs, entendu par les parlementaires: «Tant pis si les gamins rechutent, se radicalisent encore plus. L’essentiel, c'est de montrer qu’on est présent sur le terrain. Parce que c’est valorisant de bosser sur la radicalisation. Et puis parce qu’il y a de l’argent à la clé, évidemment.»
Loin de l’affaire d’État
La gestion du fonds Marianne est loin d’être une affaire d’Etat. Elle prouve juste que sur ce sujet, l’attribution de fonds sur la base de compétences présumées ne fonctionne pas. «Toute tentative de définition de programmes génériques de prise en charge ne peut se révéler qu’illusoire, avertissait en 2017 le rapport du Sénat. Hormis quelques expériences pertinentes ayant opté pour une prise en charge sur mesure et un accompagnement personnalisé des personnes endoctrinées par l’idéologie de Daesh (l’Etat islamique), les méthodes se sont révélées peu concluantes».
Et de conclure voici cinq ans à propos du comité dirigé par le préfet qui vient de démissionner: «Un travail de réflexion sur ses modes d’action, ses choix de prestataires et leur évaluation méthodique doit être mené afin d’éviter certains écueils, notamment le défaut d’une réelle expertise des associations dédiées à la «déradicalisation» et à la formation des agents de l’Etat».