On connaît l’adage: «Il faut savoir terminer une grève.» C’est à Maurice Thorez, l’historique leader du parti communiste français (1900-1964) que l’on doit cette fameuse phrase. Evitons donc le parallèle, d’autant qu’une ultime passe d’armes parlementaire est prévue ce 8 juin.
Mais posons la question: à quoi peuvent encore servir de nouvelles manifestations alors que la mobilisation est à l’évidence en baisse, et que les premiers décrets d’application de la réforme controversée des retraites viennent d’être publiés?
Vu de l’étranger, et compte tenu du rapport de force désormais en faveur du gouvernement, la réponse est claire: poursuivre le mouvement sous cette forme-là ne fera qu’attiser les rancœurs et les blessures. C’est sur d’autres terrains que les syndicats français, requinqués par ces mois de bataille sociale, doivent aujourd’hui se positionner s’ils veulent peser de tout leur poids sur le deuxième mandat d’Emmanuel Macron.
Le terrain du dialogue social
Le premier terrain est celui du dialogue social. Il n’est plus acceptable, voire même plus concevable, que le président français conduise les affaires du pays sans convoquer, pour la rentrée de septembre, une grande conférence entre le patronat, les syndicats, et pourquoi pas les dirigeants des plus grandes entreprises du CAC40 – l’indice boursier parisien – qui sont si généreuses en dividendes pour leurs actionnaires.
A un an des Jeux olympiques d’été 2024, dont la tenue dépendra largement de la capacité à accoucher à temps des grands travaux en cours dans la capitale, et alors que le pays sort fracturé et blessé de cet épisode des 64 ans, il est normal que les salariés soient entendus. L’inflation mine leur pouvoir d’achat. La prolifération des jobs mal encadrés socialement accroît la vulnérabilité des couches populaires.
Emmanuel Macron a le devoir moral de renouer le dialogue et d’user de son influence pour que les patrons acceptent de se poser les questions qui fâchent: le rapport au travail, à l’entreprise et aux carrières, puisque les Français nés après 1961 devront travailler deux ans de plus.
Une coopération efficace
Le second terrain d’action que les syndicats doivent occuper est celui du suivi de cette réforme des retraites. L’histoire a toujours montré qu’en France, la complexité administrative est la fille naturelle des changements.
Il faut, pour que le report de l’âge légal à 64 ans entre en vigueur dans de bonnes conditions, que la coopération fonctionne dans toutes les structures paritaires. Le pire serait de tout laisser dans les mains de l’exécutif, amenant une fois de plus ce dernier à centraliser l’essentiel des décisions.
La retraite ne doit pas être l’affaire de hauts fonctionnaires murés dans leur tour d’ivoire statistique, mais celle d’hommes et de femmes, spécialistes des ressources humaines, qui sauront accompagner cette nouvelle donne.
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Rester unis dans la lutte
Le troisième terrain d’action, pour les syndicats français qui restent très peu représentatifs malgré la belle poussée récente de leurs adhésions, est celui de la créativité sociale. Les huit formations de l’intersyndicale ont réussi la prouesse de rester unis dans la lutte. Ils doivent l’être aussi, non dans les combats sociaux au jour le jour, mais dans la réflexion prospective.
Comment prendre en compte les nouveaux types d’emplois et les nouveaux types de travailleurs? Comment défendre intelligemment les services publics dont une majorité écrasante de Français déplore l’affaissement?
Il n’est pas surprenant que, dans certains sondages, le patron sortant de la CFDT Laurent Berger (qui laissera sa place le 21 juin à Marylise Léon) émerge comme un possible «présidentiable». Le discours d’Emmanuel Macron sur la compétitivité et l’attractivité a, de facto, divisé le pays. Il doit s’accompagner d’un volet de cohésion sociale, et d’un sentiment de juste répartition du fruit des efforts consentis.
La bataille des 64 ans n’a pas été gagnée «à la loyale», avec un vote digne de ce nom au parlement, par Emmanuel Macron. Elle n’est donc pas perdue pour les syndicats. C’est maintenant, en réalité, qu’ils peuvent gagner cette nouvelle manche en acceptant d’avancer avec le pays. Et d’être l’indispensable contrepoids à la fragmentation croissante du monde du travail qui ronge aussi la République.