Je suis d’accord avec «Le Monde». Dans son éditorial du 29 juin, le vénérable quotidien français qualifie Marseille de «laboratoire politique décisif» pour la France et pour Emmanuel Macron. «Le nouveau «raid» sur la cité phocéenne du président de la République, affirme le journal, a généré un «effort hors normes». Et tant pis si la méthode du chef de l’État faite, selon «Le Monde» de «personnalisation à outrance, pilonnage de communication et petite phrase polémique sur la facilité de trouver un job en faisant le tour du Vieux-Port» a toujours de quoi, elle, nourrir la controverse.
Un choix politique
Le fait est qu’en ce début de second mandat, le locataire de l’Élysée a fait un choix qui va bien au-delà du plan «Marseille en grand» de septembre 2021, doté de cinq milliards d’euros, dont il est venu, pendant trois jours, vérifier la mise en œuvre sur le terrain pour réhabiliter la seconde métropole française.
Pour Macron, Marseille l’a définitivement emporté sur Paris. Il sait que sa personnalité, clivante, n’y est pas sans cesse pilonnée par l’élite intellectuelle comme c’est le cas dans la capitale. Il a aussi conscience que son tempérament de fonceur, avec ce que cela suppose de déclarations passionnées et de promesses mal tenues, convient bien aux harangues locales, l’accent du sud en moins.
Ce président de 45 ans qui a grandi dans l’austérité nordiste de la Picardie a trouvé sous le soleil marseillais ce qui faisait le succès de la série télévisée «Plus Belle La Vie», désormais terminée: une dramatisation de circonstance, le goût des autres, le cynisme rigolard et la capacité à rebondir.
Marseille est une ville outragée
Marseille est une ville blessée, outragée, assommée par les compromissions, les aveuglements urbains, le laisser-faire des autorités et la criminalité organisée. Mais une dynamique positive en émane, malgré l’amoncellement de problèmes, du ramassage des déchets au délabrement du patrimoine immobilier en passant par l’incontournable défi migratoire.
Marseille est, par définition, un laboratoire de la volonté collective. Harcelées par les narcotrafiquants qui règlent leurs comptes à coups de kalachnikovs, les associations de quartiers y gardent toujours la tête haute. La diversité y est vécue comme un atout dont le «Printemps citoyen», le collectif qui a remporté les élections municipales de 2020, a été le symbole.
Marseille est, comme Macron, pragmatique et effrontée, convaincue de pouvoir jouer le XXIe siècle après le grand dévissage de la seconde moitié de vingtième siècle. Après des décennies de difficultés, et la descente aux enfers engendrée par la décolonisation, cette ville ouverte sur l’Afrique du Nord a conscience que son positionnement maritime et les atouts de sa connectivité numérique (une quinzaine de câbles sous-marins partent de ses rives) peuvent la projeter vers un avenir meilleur, à l’image de son succès comme «capitale européenne de la culture» en 2013.
Paris est le verrou de la France. Un verrou aujourd’hui grippé par une accumulation de problèmes, une gestion municipale problématique, l’angoisse du déclassement et l’inquiétude liée à l’organisation des Jeux olympiques de 2024. C’est à Paris qu’Emmanuel Macron, le provincial déraciné, a fait ses classes pour accéder au sommet du pouvoir jacobin, dans cette République incapable de penser autrement que de haut en bas.
Tout le pari de sa présidence, qui consiste à sortir le pays de ses habitudes anciennes, à bousculer les rentes, à miser sur l’initiative privée et individuelle pour secouer le mastodonte public, trouve en revanche davantage d’échos dans une métropole comme Marseille, obligée de rompre avec ses pratiques d’antan et son immobilisme si elle ne veut pas couler.
La cité phocéenne est un poumon
La cité phocéenne est un poumon. Elle est plus exposée que toutes les autres villes du pays aux mauvais vents de criminalité organisée, à la mondialisation débridée et aux flux migratoires. Mais elle porte en elle une détermination moqueuse qu’un bateleur comme Bernard Tapie avait jadis su conquérir. Avec Emmanuel Macron, ce président fan de l’OM et du stade Vélodrome, la séduction opère.
Marseille est dévergondée quand Paris est huppée. Marseille est commerçante quand Paris est administrative. Marseille sait accommoder la gauche radicale avec la droite. Colonie grecque fondée en 600 avant JC, Marseille, d’un point de vue géographique et historique, tourne en fait le dos à la France, tout en incarnant une part indélébile du tempérament français et de la République. Exactement comme Emmanuel Macron.