Meurtres, drogue, délitement...
Marseille, une plaie criminelle que personne n'arrive à soigner

Comment briser la spirale de violence qui endeuille le grand port français de Marseille depuis le début de l'année? De la mairie aux éducateurs sociaux en passant par la police, l'absence de réponse est éloquente.
Publié: 07.04.2023 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 07.04.2023 à 12:37 heures
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Depuis 2021, trois cents policiers supplémentaires ont été envoyés à Marseille. Sans effets apparents sur la criminalité.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Deux visages de Marseille. Le premier, depuis le début de la bataille sociale française sur les retraites, est celui d’une métropole où les syndicats ont jusque-là su tenir leurs troupes et éviter les débordements. «Des manifestations sereines», a titré «Le Monde». Peu de violences urbaines, en effet, comparé à Paris, Lyon ou Nantes. Et l’espoir que cela va durer alors que la France se mobilise contre la réforme des retraites.

Une ville à l’agonie

L’autre visage de la cité phocéenne est bien plus effrayant. Il est celui d’une ville à l’agonie, impuissante face aux règlements de comptes qui gangrènent ses quartiers, là où les trafiquants de drogue et les recruteurs de dealers mineurs règnent en maîtres. La preuve: le silence et l’accablement des élus et des représentants des forces de l’ordre depuis la mort de trois personnes dans la nuit du dimanche 2 avril, dont un adolescent de seize ans. La réponse du ministère de l’Intérieur, qui y a aussitôt envoyé une nouvelle unité de CRS spécialisée dans les interventions difficiles, ne fait pas illusion. Trois cents policiers supplémentaires ont été déployés dans la ville depuis 2021, en plus de l’installation de trois autres unités antiémeutes. Tout le monde est d’accord: le Vieux-Port, son marché aux poissons et ses balades touristiques sont la façade d’une ville où les plaies criminelles ne cicatrisent pas.

Un jeune de 16 ans tué dans une rixe entre trafiquants de drogue, une nuit d’avril? Rien de nouveau, malheureusement. Les mineurs constituent de bonnes «mules», de bons «chouffeurs» (veilleurs) et de bons combattants. Arrêtés, ils encourent des peines moins longues. En 2020, le très réaliste film «BAC Nord» avait raconté, sur grand écran, le quotidien de trois policiers des brigades anticriminalité, confrontés à ces bandes d’adolescents qui tiennent leurs quartiers avec la manière forte. L’on y voyait ces policiers obligés de reculer devant des gamins armés, prêts à en découdre, le visage masqué.

Tout ce qui a été raconté et filmé dans «BAC Nord» correspond à la réalité. Personne ne l’a contesté à la sortie du film, il y a presque trois ans. Il s’agissait alors de raconter de l’intérieur, via la fiction, la vie d’un groupe de policiers d’intervention qui, dans la vraie vie, s’est retrouvé en prison et accusé d’avoir utilisé des méthodes illégales pour faire tomber des réseaux enracinés dans les quartiers. Au printemps 2021, onze de ces policiers ont été condamnés en première instance à des peines de prison avec sursis. Sept autres ont été acquittés. Ils n’ont finalement pas interjeté appel. Le silence est retombé sur Marseille après l’émotion consécutive au succès du long métrage de Cédric Jimenez, avec les acteurs François Civil et Gilles Lellouche.

Des fusillades en bas des immeubles

Et depuis? La fusillade de ce dimanche a eu lieu en bas d’immeubles de la cité Castellas, dans le 15ᵉ arrondissement et dans le quartier de la Joliette. Cela ne vous dit rien? Un rappel est pourtant éloquent. Le 15ᵉ arrondissement est connu pour sa Cité des arts de la rue, très fréquentée par les artistes. Il ne s’agit pas d’une zone de non droit.

La Joliette, à proximité du Vieux-Port, est au cœur du projet urbain d'Euroméditerranée. Le Conseil départemental est situé là. D’importantes opérations de rénovation urbaine y ont eu lieu. Croire que les violences liées au trafic de drogue sont cantonnées loin du centre de la ville est donc une erreur. «Nous vivons dans une jungle», ont protesté au demain de cette nuit de fusillades les habitants de la cité Castellas. Et l’un d’entre eux, interrogé par une radio locale, a même avoué ce que beaucoup préfèrent taire: «On rencontre aujourd’hui à Marseille des tueurs de 14 ans.»

Les gangs? De quasi-cartels

L’impression d’agonie correspond à la réalité. Les gangs sont devenus de quasi-cartels, qui tiennent non seulement les quartiers sur le plan géographique, mais aussi les routes des trafics, et des accès portuaires pour faire entrer le cannabis, la cocaïne ou l’héroïne. Samia Ghali, première adjointe à la municipalité de Marseille, est une élue qui a grandi dans les quartiers nord. Elle accuse l’État d’être en train de capituler devant les «cartels», et compare la situation de sa ville à certaines métropoles d’Amérique du Sud.

On se souvient bien sûr de la «French connection», cette filière d’importation d’héroïne en provenance d’Asie et de Turquie contrôlée par la mafia corse, démantelée dans les années 1970 avec l’aide de la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine. Est-ce pire aujourd’hui? Bien pire, affirment tous les observateurs. Parce que la clientèle est désormais en partie locale, venue de tout le sud de la France. Marseille n’est plus seulement un port de transit pour la drogue, mais une destination de consommation massive, où s’approvisionnent les gangs de tout l’hexagone pour faire ensuite remonter la «dope» vers les grandes villes du pays.

On meurt sous les balles à Marseille

Marseille est assommée. La criminalité organisée n'est plus contrôlée par les clans corses. Elle dissémine ses métastases dans la ville. Les caïds nord-africains tiennent le pavé. En 2020-2021, le scandale du démantèlement de la BAC Nord, cette brigade anticriminalité dont les membres avaient enfreint la loi pour faire régner l’ordre, a entraîné une paralysie au sein de la police. Car de ce côté-ci, rien ne va plus. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a plusieurs fois été vivement pris à partie lors de ses visites à «l’évêché», le QG de la police marseillaise.

On meurt sous les balles à Marseille. On finit, parfois, dans le coffre d’une voiture incendiée, lors d’un de ces abominables «barbecues» dont les bandes les plus féroces ont fait leur spécialité. On se tait surtout dans les quartiers. La loi du silence règne dans la métropole qui, jadis, faisait rire la France entière avec l’accent de Fernandel, et les récits enjolivés des cafés de La Canebière. C’est la population de la cité phocéenne qui agonise, alors qu’Emmanuel Macron était venu y annoncer, en 2021, le plan «Marseille en grand» doté de 1,5 milliard d’euros, notamment pour les transports.

Marseille est le miroir d’une France qui assiste, impuissante, à son déclassement.

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