La démocratie a ses règles. La vie parlementaire a ses excès. Les élus de la République ont leurs responsabilités. En France, le mélange incendiaire de ces trois réalités est en train de produire un naufrage politique, du moins sur le plan des comportements de certains élus. Motif: Gaza, la défense de la cause palestinienne et les accusations de crimes de guerre portées à la fois contre le Hamas et contre le Premier ministre Israélien Benjamin Netanyahu. Les images de l’Assemblée nationale, mardi 28 mai, en apportent la preuve.
Attention: ce naufrage n’est pas généralisé. Il n’est pas non plus partagé par une majorité de la population française, qui regarde le conflit au Proche-Orient avec effarement et sentiment d’impuissance. Il faut se souvenir que le 12 novembre 2023, à l’initiative conjointe des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, des dizaines de milliers de personnes défilaient dans Paris contre l’antisémitisme. Tout le monde avait alors applaudi.
Seulement voilà: plus de six mois se sont écoulés et la radicalisation des deux camps, pro-palestinien et pro-israélien, et surtout le bilan effarant de la guerre à Gaza, n’ont fait que s’accentuer dans un pays où la politique étrangère est du ressort du président de la République. Et où l'Assemblée nationale devient le lieu de déferlement des colères et des haines, encore plus que les plateaux de télévision!
Drapeau palestinien au milieu de l'Assemblée
L’incident de mardi, survenu dans l’hémicycle de l’Assemblée, était au début sans paroles. Le fait qu’un élu de La France Insoumise (LFI, gauche radicale) Sébastien Delogu, jaillisse de son banc pour brandir un drapeau palestinien, le jour même où trois pays membres de l’Union européenne (Irlande, Norvège, Espagne) décident de reconnaître l'État de Palestine, avait tout du symbole engagé, disruptif, mais pacifique, même si le geste contrevient au règlement. Il faut aussi avoir en tête que presque au même moment, Emmanuel Macron affirmait, depuis Berlin et aux côtés du Chancelier Scholz, «être prêt à la reconnaissance de Palestine à un moment utile».
Alors? Sur la forme, il est clair que ce drapeau contrevenait à l’article 9 de l’institution qui proscrit «l’utilisation, notamment pendant les questions au gouvernement, à l’appui d’un propos, de graphiques, de pancartes, de documents, d’objets ou instruments divers est interdite». Le député incriminé a d’ailleurs aussitôt été sanctionné. C’est toutefois la suite qui a accéléré le déraillement, lorsque deux autres élus: David Guiraud (LFI) et Meyer Habib (LR, Droite) se sont invectivés puis insultés devant les micros. Jusqu’à ce que l’élu insoumis traite à plusieurs reprises de «porc» son collègue juif. Une insulte destinée à blesser, et qui a conduit le député pro-israélien à porter plainte pour injure raciale et antisémite.
Parlement en ébullition
La réalité est que la France parlementaire est en ébullition, à l’image des universités où plusieurs occupations ont eu lieu par des étudiants, au nom de la défense de la cause palestinienne. Pourquoi? D’abord parce qu’une force politique de premier plan, la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, a fait le choix d’un soutien sans faille à la cause palestinienne et d’une dénonciation systématique d’Israël, malgré l’attaque menée le 7 octobre par le Hamas.
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Ensuite parce que le malaise s’est installé très tôt dans l’enceinte de l’Assemblée. Sa présidente, Yaël Braun-Pivet a mis le pied dans l’engrenage en s’affichant, le 22 octobre en Israël, aux côtés de militaires de Tsahal. Le député Meyer Habib, acteur de l’incident de mardi, est un soutien sans faille de la droite israélienne la plus dure.
A gauche, la campagne électorale pour les européennes du 9 juin est polarisée par la rhétorique inflammatoire, anti-israélienne, de la candidate LFI Rima Hassan, franco-palestinienne. Des polémiques successives ont éclaté, notamment sur le symbole des mains rouges utilisées par les étudiants pro-Palestine, alors que les juifs y voient un hommage au massacre de deux soldats israéliens en octobre 2000. Bref, les députés ne font malheureusement que refléter l’ambiance du pays, en particulier à Paris où le feu couve sur le sujet de la guerre à Gaza.
Escalade verbale détestable
L’autre explication de cette escalade verbale détestable est l’irresponsabilité des protagonistes. Certains élus de la France Insoumise sont coutumiers des provocations. Au moment de la réforme houleuse des retraites, un député LFI, Thomas Portes, avait shooté dans un ballon de foot à l’effigie du ministre à l’époque en charge du dossier (redevenu depuis député) Olivier Dussopt. David Guiraud lui-même, dès novembre 2023, avait, lors d’une conférence à Tunis, dénoncé «des responsables politiques en France qui ont complètement avalé, gobé, tous les éléments de langage de la propagande d’Israël, un Etat colonial en train de réaliser un nettoyage ethnique». On peut aussi citer, dans un tout autre registre, la passe d’armes médiatique entre le jeune député LFI Louis Boyard et Cyril Hanouna en novembre 2022, à propos du milliardaire Vincent Bolloré. Bref, la France Insoumise joue sciemment avec le feu, en ciblant son public électoral: jeunesse protestataire, intellos de gauche, population des quartiers pauvres, communauté musulmane…
L’Assemblée, une tribune
Meyer Habib pratique, lui, un entrisme assumé. A 63 ans, cet homme d’affaires franco-israélien, qui représente les Français de l’étranger (circonscription Israël, Italie, Grèce, Turquie), se comporte comme s’il était au service de l’actuel gouvernement israélien, dont il défend toutes les actions depuis l’assaut du Hamas le 7 octobre. L’Assemblée nationale est une tribune qu’il utilise avant tout pour faire taire les adversaires d’Israël.
Ironie de la situation: le Parlement français n’a presque aucune compétence en matière de politique étrangère. L’exécutif accapare tout et décide. Difficile, au vu du pugilat verbal à l’Assemblée nationale, de croire qu’un changement de pratique institutionnelle est possible et aurait le soutien de la population.