Le porno français en procès. Sauf revirement judiciaire de dernière minute, 17 protagonistes, acteurs et dirigeants, du site pornographique français French Bukkake comparaîtront dans les prochains mois devant un tribunal pour viols, viols en réunion, traite d’être humain en bande organisée ou encore proxénétisme aggravé.
Cette affaire dépasse largement, par son ampleur, celle d’un autre site, beaucoup plus consulté: celui de Jacquie et Michel. En juin 2022, le propriétaire de cette plateforme qui présente officiellement des scènes de sexe entre adultes amateurs et consentants a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire. Il est, lui aussi, accusé de complicité de viol et de traite d’être humain en bande organisée.
French Bukkake, ou le pire de l’industrie pornographique française au sein de laquelle quelques firmes se sont imposées ces dernières années. L’une d’entre elles est celle du producteur Marc Dorcel, mis en cause l’an dernier dans le documentaire télévisé de France 2: «Porno: Une industrie hors de contrôle?». Une bataille judiciaire est d’ailleurs en cours, depuis, entre la chaîne de télévision publique et l’entreprise visée. Laquelle a déposé plainte pour diffamation.
En 2022, un rapport d’information a été mené par la délégation aux droits des femmes du Sénat français sur les dérives de l’industrie pornographique. Celui-ci avait pointé une vingtaine de propositions afin d’alerter le gouvernement et l’opinion publique «sur les violences perpétrées et véhiculées» par ces contenus. Chaque mois, 19 millions de visiteurs uniques naviguent sur les sites pornos en France. Or, selon le rapport des sénateurs, «90% des scènes pornographiques comportent de la violence. Les violences sexuelles, physiques et verbales y revêtent un caractère systémique. Elles ne sont pas simulées, mais bien réelles pour les femmes filmées.»
Le cas de French Bukkake – dont le nom est tiré du verbe japonais bukkake, ou éclabousser, à l’issue de scènes de sexe collectif – est le plus emblématique de ces dérives. Ses dirigeants parlent rémunérations, consentement, accords, relations entre adultes. Rien de tel pour leurs accusateurs: «Il résulte des déclarations concordantes et réitérées des plaignantes qu’il y avait une discordance entre les actes sexuels accomplis sur leurs personnes et ceux auxquels elles avaient consenti lors d’échanges succincts et uniquement oraux avec les réalisateurs, peut-on lire dans l’ordonnance de renvoi, consultée par France Info.
«Celles-ci décrivent avoir été dans un état de sidération sur les tournages en raison du nombre de partenaires masculins qu’elles découvraient sur place. Les actes sexuels s’enchaînaient sur leurs personnes, par surprise, sans qu’elles soient en mesure de les appréhender et donc d’y consentir.» Les dirigeants du site, certaines vidéos sont encore accessibles sur internet via d’autres plateformes pornographiques, auraient notamment piégé de jeunes femmes précaires, sans leur préciser le nombre de partenaires masculins. Plus d’une quarantaine de victimes, ainsi que des associations, sont parties civiles dans ce dossier.
S’il intervient – les plaignants, présumés innocents, ont fait appel de l’ordonnance de renvoi en procès – le procès de French Bukkake est assuré de relancer le débat sur l’impact de la pornographie en France. 51% des adolescents français, selon un sondage de l’IFOP, ont déjà surfé sur un site pornographique. Ils sont 71% pour ceux ayant déjà eu un rapport sexuel. L’augmentation de la consommation de vidéos pornographiques a nettement augmenté chez les filles en classes secondaires, passant de 15 à 26% entre 2003 et 2017. Plus préoccupant encore, selon le ministère de la Santé, un enfant sur trois a, à douze ans, déjà visionné de la pornographie.
«Un système de domination»
Face à cette réalité, la mission du Sénat s’érigeait contre ce qu’elle assimile à «un système de domination et de marchandisation du corps des femmes». Son rapport recommandait de «faire de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique» ou encore «d’augmenter les effectifs et les moyens matériels» des enquêteurs et des magistrats dédiés à la lutte contre les violences commises dans un contexte de pornographie. Les sénateurs demandaient aux pouvoirs publics de donner «un coup de pied dans la fourmilière» en assimilant les violences sexuelles commises dans un contexte pornographique à une incitation au viol. Le tribunal qui jugera l’affaire French Bukkake se retrouvera donc, au-delà des faits, en prise avec un débat de société.