La République française n’avait certainement pas besoin de ça. En pleine crise au Sahel, et alors que le Niger est depuis quelques semaines aux mains d’une junte militaire hostile à la France, le futur procès de l’argent libyen reçu par Nicolas Sarkozy promet de faire ressortir pas mal de cadavres enfouis par la raison d’État. Au sens propre comme au sens figuré, vu que l’épilogue de cette affaire se trouve peut-être dans l’intervention militaire française et britannique en Libye entre mars et octobre 2011, et dans la mort du Colonel Kadhafi le 20 octobre à Syrte.
L’ancien président français a toujours rejeté ces accusations qu’il assimile à une «chasse à l’homme» dirigée contre lui par certains journalistes comme ceux de «Mediapart», et par les juges avec lesquels il entretient de longue date des relations détestables. Il est bien sûr présumé innocent. L’annonce du renvoi en procès (décidé en mai) intervient pile au moment de la sortie de son dernier livre «Le Temps des combats» (Ed. Fayard) dans lequel il évoque les débuts de son quinquennat 2007-2012.
Des valises de cash
La Libye et la France. Les valises d’argent cash collectées à Tripoli par des émissaires ou par les politiciens français eux-mêmes. La corruption au cœur de la campagne présidentielle de 2007 remportée largement par Nicolas Sarkozy face à la candidate socialiste Ségolène Royal, avec 53% des suffrages contre 47%.
On se souvient de la suite: la libération par le Colonel Kadhafi des «infirmières bulgares» en juillet 2007, personnellement négociée par l’épouse du président, Cécilia Sarkozy, avant leur divorce. La visite du dirigeant Libyen à Paris en décembre 2007, avec sa tente de Bédouin plantée à deux pas de l’Élysée, dans le parc de l’hôtel Marigny.
L’engrenage du printemps arabe
Puis l’engrenage du printemps arabe de 2011 et la décision de Sarkozy de monter une opération aérienne de soutien aux rebelles libyens, à partir du 19 mars de cette année-là. La suite? La chute de Kadhafi, le pays pétrolier en proie au chaos, la dispersion des énormes stocks d’armes de son régime dans les pays du Sahel.
«Près de 90 000 Libyens étaient encore armés en mai 2012, tandis que près de 20 millions d’armes circulaient dans le pays. La poussée djihadiste vers le Mali, le Niger et le Tchad est partie de là» nous expliquait à l’époque l’expert français Marc Antoine Pérouse de Montclos, auteur de «Une guerre perdue: la France au Sahel» (Ed. JC Lattès).
Pourquoi ramener les déboires judiciaires de Nicolas Sarkozy au vacillement de la France dans sa zone d’influence africaine? Parce que les deux se retrouveront à coup sûr liés lors du procès qui, selon les annonces faites ce vendredi 25 août par le procureur national financier, se tiendra en 2025.
«Un pacte corruptif»
L’ancien président fait face à une accusation accablante. Il aurait, selon les juges d’instruction qui ont ordonné en mai son renvoi devant un tribunal «sollicité de Mouammar Kadhafi un soutien financier occulte en octobre 2005» pour sa campagne présidentielle de 2007. «Un pacte corruptif» aurait alors été conclu.
Plus grave, car l’on touche à la conduite des affaires publiques: le parquet national financier affirme «avoir mis en évidence l’existence de contreparties à la fois diplomatiques, économiques et judiciaires», par exemple le retour de la Libye sur la scène diplomatique ou la conclusion de contrats, «mais également de flux financiers atypiques et troubles en provenance de Libye». Kadhafi aurait donc prêté main-forte à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur sous la présidence de Jacques Chirac.
Jusque-là, l’ancien président français s’est toujours défendu en rejetant en bloc les accusations portées contre lui, en accusant les juges de partialité et en affirmant qu’il a toujours défendu les intérêts de la France et non ses intérêts électoraux.
«Comment peut-on dire que j’ai favorisé les intérêts de l’État libyen? assénait-il dans Le Figaro en mars 2018. C’est moi qui ai obtenu le mandat de l’ONU pour frapper l’État libyen de Kadhafi. Sans mon engagement politique, ce régime serait sans doute encore en place. Le Colonel Kadhafi lui-même ne s’y est pas trompé, puisque je vous rappelle qu’entre 2007 et le 10 mars 2011, il n’y a aucune espèce d’allusion au prétendu financement de la campagne. Les déclarations du Colonel Kadhafi, de sa famille et de sa bande n’ont commencé que le 11 mars 2011, c’est-à-dire le lendemain de la réception à l’Élysée du CNT, c’est-à-dire les opposants à Kadhafi. C’est à ce moment-là et jamais avant que la campagne de calomnies a commencé.»
Une liste d’affaires
Il avait ensuite ajouté: «Durant les sept mois de la guerre, le Colonel Kadhafi était en vie, rien ne l’empêchait de livrer les documents, photos, enregistrements, virements que lui-même et ses proches ont indiqué tout au long de ces sept dernières années posséder sans qu’à aucun moment, d’aucune façon, on en voit le début du commencement.»
Déjà au cœur des autres affaires dans lesquelles Sarkozy est impliqué (Affaires des écoutes, affaire Bygmalion de financement de la campagne présidentielle de 2012…), les draps sales de la République se retrouvent de nouveau exposés au grand jour.